Club Méditerranée. Acapulco, l’expérience mexicaine…
- sorti du tiroir aux souvenirs, 1971,1972 -
- Acapulco, dessin sur feuille d'amate, Guerrero -
Après le succès phénoménal des villages de vacances en Grèce, Espagne, Corse..., Gilbert Trigano a l’idée d’exporter son concept gagnant gagnant au Mexique. A la fin des années 60, il prend contact avec le ministère du Tourisme. Celui-ci lui demande de faire ses preuves avant de lui donner les autorisations nécessaires. Il lui impose le Majestic, un hôtel plutôt vieillot et assez éloigné dans la baie d’Acapulco phagocytée par les chaînes hôtelières nord-américaines qui continuaient de drainer, bon an mal an, des centaines de milliers de clients. Il est vrai que le lieu n’est plus vraiment à la mode, loin de l’engouement des années 50/60. Toutes les stars hollywoodiennes devaient s’y montrer. John F. Kennedy et sa femme Jackie y avaient même passé leur lune de miel.. Qu’à cela ne tienne, le Club s’installe pour une année et demie, à cheval sur 1971 et 1972, durant laquelle deux équipes vont se succéder pour démontrer son savoir faire et illustrer la philosophie de l’entreprise.
Lorsque je rencontrais en 1968 Gérard Blitz (co-fondateur du Club Med), à la piscine de l’International Sporting Club de Cannes au Port Canto, j’ignorais que j’allais être peu d’années plus tard, un de ces Gentils Organisateur (G.O.) qui contribuaient à la réussite du Club. C’est par le plus grand des hasards aussi que je rencontrais Eva Ruchpaul, responsable de l’activité yoga, à Saint Moritz. Elle me suggère de faire l’expérience du Club. Par le plus grand hasard aussi, c’est Dudule (de son vrai nom Gérard Joachim), le responsable du recrutement sports qui me reçoit Place de la Bourse. Nous nous reconnaissons, nous avions passé un diplôme de moniteur de natation sportive à l’Institut des Sports, à Paris...
- Acapulco, les G.O., saison 1971 -
Me voilà donc embarqué illico dans une sacré aventure. Je parts quelques jours plus tard, en plein hiver, pour le Club de Fort Royal en Guadeloupe puis pour celui de La Caravelle en Martinique. Un court entracte avant de rejoindre Acapulco, en passant par Haïti et Miami. Là, je serai un G.O. polyvalent m’occupant de donner des cours de hatha-yoga, de natation, de ski-nautique, de voile, de plongée libre et de participer bien sûr aux animations et sorties pique-nique. Cerise sur le gâteau mexicain, à la farine de maïs bien sûr, je remplacerai au pied levé le responsable excursion, ce qui me donnera l’opportunité d’approfondir mes connaissances du pays, de sa capitale - à l’époque déjà peuplée de 9 millions d’habitants - et des trésors archéologiques du Yucatan… j’accorderai aussi le temps nécessaire à la découverte des quartiers populaires, aux marchés et au petit port d’Acapulo. Je découvrirais par exemple que chaque matin paraissait une feuille de chou qui décrit les meurtres de la journée et de la nuit précédente. Il est vrai que l’État de Guerrero était considéré comme le plus violent du Mexique.
- Acapulco, décoration grandeur nature pour le 14 juillet 1971, La Bastille,
en contrebas, la plage, activité voile et ski nautique -
Lors de nos excursions pique-nique hebdomadaires, nous nous rendions en bateau sur la plage de Puerto Marques en traversant toute la Baie longue de près d’une dizaine de kilomètres. Superbe balade à la suite de laquelle beaucoup de G.M. attrapaient de sérieux coups de soleil… Seconde option, Pie de la Cuesta, à une quinzaine de kilomètres au nord d’Acapulco. Nous nous y rendions en bus. Ce lieu dit est l’entrée d’une spectaculaire lagune de 17 kilomètres de long qui la sépare de l'Océan Pacifique par une étroite frange de sable d’environ 50 mètres de large. Les vagues du Pacifique peuvent être très fortes à cet endroit et leur intensité peut varier en quelques minutes. Il donna lieu à un drame. Dans le bus, John, responsable de la voile, et moi, avions bien prévenus nos hôtes de leur potentielle dangerosité. La consigne était de préparer tous ensemble le pique-nique avant d’aller se baigner. Malheureusement, un G.M. (Gentil Membre), commandant de bord sur Sabena, présuma de ses capacités. Il s’aventura seul et sans surveillance, palmes au pied, masque et tuba et nagea droit vers le large. Une énorme vague le ramassa et, du plus haut, le projeta sur le fond. Une ambulance arriva peut après mais, avant même les secouristes, ce furent des photographes qui en sortirent. Leurs morbides photos allaient certainement alimenter la prochaine édition du quotidien local. Le Mexicain a d’ailleurs une façon de faire face à la mort bien différente de la notre. « Il la fréquente, la raille, la brave, dort avec, la fête. C’est l’un de ses amusements favoris et son amour le plus fidèle. Certes, dans cette attitude, il y a peut-être autant de crainte que dans l’attitude des autres hommes ; mais au moins le Mexicain ne se cache pas d’elle, ni ne la cache ; il la contemple face à face avec impatience, dédain ou ironie... » écrivait Octavio Paz.
- Acapulco, mariage haut en couleur du chef d’orchestre du Club,
Vincent, au centre, 1971 -
Autre événement dont la conclusion fut moins tragique, celle d’autres vagues imprévisibles qui, lors d’une sortie pique-nique, presque au même endroit, mirent en difficulté plusieurs G.M. ; petits nageurs, un fort ressac les empêchait de regagner le rivage. J’allais les chercher un à un, ce qui ne se fit pas sans mal et sans inquiétude sur l’issu de l’entreprise. L’un d’eux paniquait et se débattait… Pour l’avoir tiré de ce mauvais pas, j’eus droit à une invitation à Toronto que j’honorais quelques mois plus tard lors de ma traversée des États Unis en moto.
L'avenir sourit à ceux qui se lèvent tôt… Fort de cet adage, je me suis levé ce 1er de l’An 1972, le Cœur en fête. « Le jour se lève - Déjà le soleil - Chasse les rêves » scandaient les Compagnons de la Chanson. Le Village était silencieux, tout le monde avait célébré la fin de l’année. La Baie était d’un calme inhabituel et ce n’était pas pour me déplaire. Je descendais les escaliers qui menaient à la petite plage, dérangeais une iguane qui cherchait la meilleure place pour se réchauffer des premiers rayons. Fernando, imperturbable dans son Chris-Craft, attendait. A mon appel, il se rapprocha du rivage et me lança un ski. Je saisissais le palonnier attaché à la corde puis lui indiquais du doigt une direction imprécise. Il m’accorda alors une inoubliable traversée de la Baie qui, à cet instant n’appartenait qu’à moi… Au retour, le vent s’était un peu levé et, entre deux creux de vague, le bateau disparaissait quelques secondes de… solitude.
- Acapulco, Gustavo, seul G.O. mexicain sports,
la piscine, près du bar, 1971 -
L’hôtel avait dû connaître des jours meilleurs. Les chambres, rafraîchies par des ventilateurs au plafond un peu bruyants, sentaient parfois le moisie. Mais qu’à cela ne tienne, personne ne se plaignait. Il est vrai que nous vivions une situation inhabituelle. En effet, prudent, le Club avait choisi de n’ouvrir les inscriptions qu’à un petit nombre de GM (Gentils Membres). En fait, nous étions autant de G.O. que de G.M., une situation plutôt confortable. Autant dire que nous n’avions pas de pression. Nous avons pu ainsi développer plus encore des relations privilégiées entre les uns, les unes et les autres. Le chef de l’orchestie du Club, Vincent, un franco-italien, se maria même avec la fille de notre voisin le plus proche… Nos hôtes venaient essentiellement de New-York city, Los Angeles, Montréal… ils ne restaient pour la plupart qu’une semaine (les employés nord-américains ont bien moins de congés qu’en Europe). Quant aux quelques rares Français présents, ils choisissaient plutôt la formule, une semaine au Club les pieds dans l’eau et une semaine en excursion : Taxco, Mexico city, Merida, Palenque, Uxmal...
Aujourd’hui, l’hôtel, rénové et agrandi est méconnaissable. Il s’appelle désormais Aristos Majestic. Seule la piscine et son bar n’ont pas changé mais il y a toujours autant de marches pour se rendre d’un point à un autre de l’établissement ou pour descendre à la plage, un peu étriquée il faut le dire. La majorité des chambres ont une superbe vue sur la Baie ; la salle à manger et la terrasse du dernier étage aussi. Le bidon ville que l’on pouvait observer du toit, a dû, espérons-le disparaître. Bidon ville qui, cette année-là, subit une queue d’ouragan dont nous fûmes les témoins, un phénomène qui survient sur cette partie de la côte pacifique de mi-mai à fin novembre. Ce dernier fit en ville quelques dégâts et quelques morts aussi. Autre aléa sans conséquences fâcheuses cette-fois, le léger tremblement de terre qui, une nuit nous réveilla. Nous nous retrouvâmes tous sur la terrasse, passablement inquiets et... impuissants.
- les G.O. Gustavo (mexicain) , Alain (français) et John (Anglais), 14 juillet 1971 -
Des policiers en civil mais le pistolet en évidence à la ceinture, s’invitent régulièrement au Club vérifier que tout se passe bien. On sait qu’ils ont leurs indics parmi le personnel local. Mais le chef de village veille au grain, pas de drogues, de beuverie et d’autres débordements importuns. Les G.O. et G.M. présents sont exemplaires...
Les professionnels du tourisme s’accordent pour dire que le concept du « all inclusive » est né au Club. Ses inventeurs ont parié sur la formule vols + transferts + sports + animations + repas compris, quitte au début du moins à rogner sur le confort. Dans les premiers villages en effet, tout le monde dormait sous des tentes… Trigano bien sûr, et prenaient leurs douches, froides, dehors. Mais ils pouvaient manger à satiété, boire du vin pendant les repas, et surtout pratiquer des sports réservés à des classes aisées comme le ski nautique, la voile et la plongée sous-marine qui en était alors à ses débuts… Il y avait aussi ces colliers de perles (en plastique) que l’on mettaient autour du cou. On en décrochait quelques unes, à l’occasion, pour siroter un apéritif, acquérir un paréo ou un souvenir du Club.
- la plage et le chemin d'accès "le sentier aux... iguanes", 1971 -
A Acapulco, la viande, congelée, venait d’Argentine mais le point fort, c’était les légumes, les fruits locaux et les produits de la mer. Poissons et langoustes étaient notre quotidien, de même les papayes, goyaves, mangues, ananas et autres pitayas. Le chef de village avait néanmoins exclu les ragoûts d’iguanes des menus... On en voyait régulièrement de belles tailles dans les jardins du Club et, le long des routes, de petits vendeurs les proposaient aux amateurs, vivantes et bouches cousues… Par association d’idée, me revient le souvenir coquin d’une blague qu’ils nous arrivaient de faire John et moi. Le soir, lors des dîners pris et servis à table, l’un de nous demandait à haute voix, en désignant le plat de viande : « un peu de cadavre ? », histoire de faire réaliser la réalité de la chose. Généralement cela jetait un froid mais le plus souvent on en riait...
- l'Hôtel Majestic, la plage à droite, 1971 -
C’est maintenant le temps des adieux. Deux saisons avaient suffit pour transformer l’essai. Nous apprenions plus tard que le Club est devenu « persona grata ». Il pourra ouvrir un « vrai » village à un peu plus de 200 km, au nord, entre Puerto Vallarta et Acapulco. La boucle est bouclée. Mission accomplie. On s’embrasse, on s’échange des adresses, quelques larmes, des sourires et des rires. Certains G.O. et certains G.M. se retrouveront certainement dans un autre Club.
J’aurais découvert un pays immense, fascinant et si diversifié. Pour compléter mon expérience Club, je suis parti pêcher la langouste à Isla Mujeres dans le Yucatan, grimper... presque au sommet du Popocatepetl, découvrir la douceur de vivre à Oaxaca, visiter les indiens près de San Christobal de Las Casas dans les Chiapas et, enfin, j’ai eu la chance de séjourner dans le village préservé de San Miguel de Allende, dans l’État de Queretaro.
Être Gentil Organisateur peut être une aventure humainement enrichissante, voire un tremplin personnel dans le monde du tourisme ou du spectacle. C’est un lieu de rencontres, d’échanges, une opportunité rare. Certains pourtant s’y brûlent les ailes et, de retour dans la vie… normale, ont bien du mal à se réadapter au train train « boulot, métro, dodo »… C’est selon ! Quant à moi, je juge mon passage... impromptu, au Club comme très positif. J’aurai acquis de la confiance, développé des facultés d’adaptation, appris bien des choses, notamment sur les relations hommes-femmes… Ce ne sont pas les « bronzés » Gérard Jugnot, Christian Clavier ou feu Michel Blanc, qui me diront le contraire...
- Acapulco, le marché local, 1971 -
- Acapulco, artisanat de Guerrero, 1971 -
- Acapulco, bijoutier des rues, 1971 -
- Acapulco, retour de pêche, 1971 -
- Acapulco, Pie de la Cuesta, la lagune, 1971 -