On the road again… sur la "number one"...

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Dans les années soixante dix, on ne se préoccupait guère de communiquer au reste du monde le moindre de ses faits et gestes, même si certains sortaient un peu du cadre. Pas de réseaux sociaux, de smartphone faisant office d’appareil photo, et encore moins de GPS. Avec l’impression aujourd’hui qu’il y a « un avant et un après » la mise à la portée de tous d’Internet. Ainsi, beaucoup de personnes et d’événements n’apparaissent pas sur les moteurs de recherche, un peu comme s’ils n’avaient jamais existé. C'est sans doute pour ça que j'ai sorti de mon tiroir à souvenirs, celui d'un voyage en moto entrepris à l’automne 1972 en Amérique du Nord. Il y a dedans plein de photos et de diapositives issus d’appareils jetables qui ont mal vieilli, de notes manuscrites, de cartes maintes fois dépliées et repliées...



Comment l’idée nous est-elle venue ? A-t-elle germée d’abord dans sa tête ? Sans doute, car, à l’époque, je me laissais volontiers porter par les événements, les rencontres ; je n’avais pas de date limite, pas de projet arrêté : un vrai luxe en somme… Une situation exceptionnelle qui résultait d’une rupture avec une partie de mon passé cannois. Après un séjour d’un an au Mexique, j’ai traversé à pied la frontière avec la Californie, à Texicali, avec les travailleurs locaux qui font la navette. J’avais la chance d’avoir un passeport estampillé « journaliste » et j’obtiens mon visa sans problème. Je rejoins alors Los Angeles en bus, en passant par Palm Spring. Je l’y ai retrouvé et c’est avec elle que le projet a pris forme.

Il nous fallut d’abord trouver une moto d’occasion qui corresponde à notre budget, plutôt modeste. Nous avons hésité entre une Honda 750, un quatre temps et une Yamaha 650, un deux temps, avec un réservoir customisé. C’est cette dernière que nous avons été cherchée dans la vallée de San Bernardo, au nord-est de Los Angeles. Nous ne connaissions rien ou presque aux motos et l’apprentissage fut épique, avec pour commencer, des difficultés pour faire démarrer au pied ce lourd engin, car, pas de starter électrique… Puis, il fallut se procurer l’équipement nécessaire et suffisant pour camper, préparer notre nourriture, dormir à la belle étoile. Côté vêtements, nous fîmes avec l’existant. Je récupérais notamment les chaussures de parachutiste d’un de ses frères… Comme nous avions choisi d’aller vers le Nord, cela donna lieu, au fur et à mesure de notre avancée, à l’achat de tricots, imperméables, sur-pantalons, sur-chaussures… autant de strates qui s’accumulaient et nous donnaient une allure un peu particulière, voire de plus en plus... déroutante. 

Vers la fin du mois de septembre, nous quittâmes le quartier de West Hollywood, non loin du Farmers Market où elle habitait. Nous sommes partis à l’aventure, insouciants, l’esprit tranquille, les cheveux au vent - en fait, ils étaient sous le casque. Un sac de couchage arrimé à l’avant, un sac à dos bourré attaché à une « sissy bar » haute et bien pratique. 

Nous n’allions pas quitter la Pacific Coast Highway, la « number one », jusqu’à San Francisco. Elle longe au plus près une côte étonnamment peu urbanisée, vraiment sauvage, avec le bruit des vagues en fond sonore. Nous avons vu des phoques, des loutres accrochées sur le dos dans des forêts d’algues… de nombreux surfeurs aussi lorsque nous approchions de groupes d’habitations.

Première halte et premier soleil couchant dans les dunes de Prismo. Première nuit à la belle étoile et premiers frissons aussi, car l’air de l’océan Pacifique refroidit vite l’atmosphère, chauffé à blanc durant la journée. Puis, s’égrènent au fil des miles, les petites villes. Big Sur, avec une pensée spéciale pour l’auteur Henri Miller dont j’ai lu tous les ouvrages et que j’ai tenté de rencontrer dans sa maison de Palissades avenue ; puis Carmel, Monterrey, dont l’immense baie nous mène jusqu’à Santa Cruz, à son immense jetée, ses phoques, ses surfeurs à califourchon sur leur planche en attente de la vague, et le restaurant végétarien de son université, perdu dans les bois où nous croisons une biche…

Dans un décor désolé, plutôt inhospitalier, nous continuons à longer la côte jusqu’à San Francisco. La ville du « flower power » ne nous déçoit pas, même si les hippies sont devenus discrets et  pensent déjà à leur reconversion… Nous nous payons un petit extra dans un des restaurants de poissons du Fisherman’s wharf... Traverser en moto le Golden Gate Bridge, c’est un peu un rêve éveillé, un film qui passe au ralenti, un épisode d’une série télévisée américaine, une chanson de Maxime Forestier… De l’autre côté, il y a la petite ville de Sausalito qui fait aussi partie du folklore lié à la bohème des années soixante. Tout un village d’habitations flottantes, hétéroclites et bariolées y a fleuri. Nous couchons dans nos sacs de couchage, près des péniches et de notre moto. Le lendemain, nous visitons un professeur dans sa retraite de Mill Valley. Sa maison sur pilotis à deux niveaux est en bois, perdue dans une nature verdoyante qui annonce la transition drastique entre la Californie du Sud et  celle du Nord qui peut être très arrosée… Il est de la famille Elliot dont deux de ses membres vivent à Cannes. L’un d’eux, Marc, a peint plusieurs fresques (aujourd’hui effacées) dans des lieux publics et un autre, localement connu comme chiropracteur, une spécialité américaine longtemps non autorisée en France. 

La Californie s’étend, du Sud au Nord sur 1 300 km et s’étale sur 400 km de large. San Francisco est plus ou moins à mi-chemin entre les deux pôles. Dès que nous quittons cette ville, nous prenons une route qui nous fait découvrir la région viticole de Napa où est produit la majeure partie des vins américains. D’immenses exploitations de noyers attirent aussi notre attention... Bientôt la route prend de l’altitude tandis que la température commence à baisser. La moto peine un peu, il faut régler le carburateur nous conseille-t-on. Nous ne croisons guère de véhicules. Impression grisante d’être au bout du monde… Dans la foulée, nous passons dans l’Oregon, avec un arrêt près d’une rivière où nous nous baignons et cueillons plusieurs kilos de mûres... très mures. 

Il y a de l’humidité dans l’air, le temps change. La pluie nous accompagne comme nous dépassons la ville d’Eugene. Nous arrivons à Portland à la nuit tombée complètement « rincés ». Heureusement un couple de GM rencontré au Club Méditerranée d’Acapulco, nous offre le gîte et le couvert. Ils nous feront découvrir la ville le lendemain, notamment son jardin japonais. Nous aurons aussi le temps de faire de la confiture avec notre précieuse récolte de mûres… Durant ces trois mois et demi que dureront ce « trip », ce sera une des peu nombreuses occasions où nous dormirons dans un lit.

Le temps couvert ne nous avait pas permis de découvrir le Mont Saint Helens qui s’illustrera en mai 1980 par une éruption historique. Véritable phare, nous constatons son omniprésence totémique… Direction Seattle en passant par la ville d’Olympia où nous visitons la brasserie bien nous soyons des buveurs d’eau. Seattle est déjà une cité connue pour son engagement écologique mais ni le Microssolft de Bill Gate ni l’Amazon de Jeff Bezos, ne s’y sont encore installés. Après avoir visité le port, nous trouvons l’hospitalité chez un copain de fac de mon amie. Nous dormons sur le tapis du séjour tandis que dehors, il pleut… Cap à l’Est. Il s’agit de passer les Montagnes Rocheuses sans encombre. Çà commence assez vite à grimper. Arrêt à Spokane dans un parc municipal peu fréquenté à cette époque de l'année. Chaque espace a son barbecue. Nos voisins sont étonnés de voir que nous n’avons même pas de tente… ils nous invitent à partager un repas chaud.

Toujours aussi peu de monde sur ces larges routes, au point qu’il arrive que, tour à tour, le passager arrière, confortablement appuyé sur la sissy bar, sommeille. Après la ville de Cœur d’Alene, nous passons les Rocky Mountains sous une neige fine et froide. Elle nous accompagne jusqu’à Missoula dans l’État du Montana où nous arrivons tardivement. Pas question de dormir dehors. Nous nous invitons à l’Université. Des étudiants nous installent pour la nuit dans une salle commune, à l’insu de la direction…  Le lendemain, direction Helena. J’ai souvenir de nombreuses traces de mines d’or et de cuivre abandonnées, à proximité. Une cannoise, Monique, revenue au pays, m’avait donné l’adresse de sa belle-famille. Elle avait en effet marié un soldat de l’escadre américaine qui faisait régulièrement escale dans la ville du Festival jusque dans les années 70. L’accueil sera froid comme la température qui frise le zéro...

Après Three Forks, nous hésitons. Irons-nous visiter le parc national de Yellowstone ? Bien que plus au Sud, on nous annonce d’importantes chutes de neige. Nous ferons l’impasse, avec beaucoup de regret. La ville de Billing suit. Peu après, un panneau nous invite à un arrêt sur le Champ de bataille de Little Big Horn. C’est là qu’en 1876, les Sioux et les Cheyennes infligèrent une cuisante défaite au général Custer qui, d’évidence, avait surestimé ses forces et la volonté farouche des indiens d’en découdre. Le lieu, une plaine peu vallonnée, que l’automne a jauni, est désert. Le vent balaye le décor. Nous frissonnons. Les esprits de Sitting Bull et de Crazi Horse semblent encore flotter dans l’atmosphère et l’imprégner. 

« Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route. » Kerouac


(à suivre : Dakota du Sud, Iowa, Illinois, Indiana, Ohio…)


- Denise, San Vicente, Fairfax, ouest Hollywood -


- Prismo Beach, Californie -


- Oregon -


- Oregon -


- Portland -


- Les Montagnes Rocheuses, Montana -


- mines, Helena, Montana -


- le champ de bataille de Little Big Horn, Montana -