Œnologie : les vins voyagent mal
mais peuvent voyager mieux...
Lorsqu’on achète une bonne bouteille de vin, voire un flacon millésimé d’un grand cru, on se pose rarement la question de savoir dans quelles conditions il ou elle a voyagé. Eh bien, on a tort, car de celles-là dépendront pour beaucoup le plaisir qu’on pourra retirer de la dégustation.
Sur la Côte d’Azur, il n’y a pas si longtemps, il était assez difficile, surtout en été de déguster de grands vins sans courir le risque d’être déçu. En effet, peu d’établissements possédaient des caves dignes de ce nom, d’où une grande incertitude sur la façon dont ces vins avaient voyagé et surtout avaient été conservés. Ce qui donnait souvent lieu à pas mal de déceptions. D’évidence, il n’était pas prudent d’investir dans une bouteille à l’étiquette prometteuse. Le prix sur la carte des vins ne justifiait pas alors les qualités œnologiques qu’on était en droit de lui prêter, d’autant que la même bouteille débouchée en hiver ou dans une région plus tempérée, développait beaucoup mieux son caractère et sa complexité... Il valait mieux se rabattre sur les Rosés qui, servis presque glacés, faisaient oublier qu’ils n’étaient à l’époque, que des pis aller...
Puis vint le temps des réfrigérateurs, véritables caves à la température régulée. Vite démocratisés, on les trouve aussi bien chez les particuliers que dans restaurants étoilés. Il existe une de ces caves particulièrement spectaculaire qui fait la fierté de l’établissement Le Park 45, restaurant du Grand Hôtel de Cannes où officie Sébastien Broda et son complice de pâtissier Pascal Picasse. Nous en avons vu bien d’autres dont celle, certes plus modeste de taille mais bien achalandée par son propriétaire, Claude Sutter, œnologue averti qui fait merveille dans son Bistrot Saint Sauveur, perché dans le Vieux Cannet.
Eric Vogt a fondé en 2007 une entreprise, « eProvenance » qui s’est attaquée de front à cette problématique en mettant en évidence le fait que, du producteur au consommateur, le vin avait plusieurs fois l’occasion d’y laisser sa... santé. Dans bien des scenarii, il constate en effet que le vin est vendu par le vigneron à un négociant qui éventuellement le cède à un importateur, avant d’être distribué par un... distributeur qui fait ensuite passer le bébé à un détaillant ou à un restaurateur. À chaque étape de cette chaîne, les risques de détérioration du précieux breuvage augmentent. Or les spécialistes sont d’accord, les écarts de températures ne doivent pas s’éloigner de la fourchette 5° à 25°. D’où l’idée d’offrir une garantie pour tous les acteurs de la chaîne dès la mise en bouteille du produit.
Le pari de l’entreprise « eProvenance » est pour le moins ambitieux qui propose un suivi de la température, de l’hydrométrie, de la localisation, toutes ses informations et plus encore pouvant être consultées en temps continu. Une traçabilité impeccable qui permettra de valider ou non le circuit, sur le moyen et long terme, une valorisation du produit puisqu’à la revente des bouteilles, on pourra certifier des éléments essentiels susceptibles de déterminer et protéger ses qualités. Après six années d’existence, les données relevées ont déjà provoqué quelques tremblements de terre...
Preuves en mains, des producteurs et des transporteurs ont modifié leurs habitudes. Ainsi un grand domaine bourguignon a changé de transporteur pour ses expéditions en Italie. En Bourgogne, un des plus prestigieux producteurs a annulé son allocation à un importateur Taïwanais après avoir pris connaissance des conditions désastreuses du transport de son vin. Un négociant bourguignon a lui découvert que ses containers réfrigérés à destination de la Nouvelle Zélande n’étaient pas branchés durant les 2 mois du voyage, d’où sa décision de changer d’intermédiaire... tandis qu’autre négociant de Bordeaux investissait dans l’isolation de 11 000 m3 d’entrepôt, suite au retour d’informations...
- Laurent Ponsot -
Grâce à des capteurs prévus pour être opérationnels pendant 15 ans et installés sur les caisses, les informations recueillies peuvent être décodées facilement, notamment en utilisant son smartphone NFC. En France, la filiale créée en 2008 et dirigée par Bertrand Dechery a déjà fait des heureux comme le propriétaire du Domaine Ponsot (photo Cédric Belliard) ci-dessus qui ne tarissent pas d’éloges sur cette nouvelle opportunité de mettre ses vins en valeur et de les proposer à la vente en sachant pertinemment qu’ils arriveront à bon port sans avoir perdu de leur typicité et de leurs qualités œnologiques.... CQFD !