Côte d’Azur : des plages démontables qu’on ne démontera pas...
Raymond Devos en eut fait un sketch comique et savoureux dans le style, « Vous la remontez quand la mer ? » « Quand vous serez parti ! »
- une loi a redonné au public l'accès au littoral…
Les plagistes semblent l’avoir emporté comme les vagues qui emportent régulièrement leurs installations. Ils ne devraient pas avoir à démonter leurs restaurants, leurs bars et leurs cabines. Une habitude tombée progressivement en désuétude dès le milieu des années 60 lorsque les plagistes ont réalisé qu’il y avait plus à gagner en vendant de la nourriture et des boissons qu’en louant des parasols, des matelas et du soleil. Une dure réalité et une concurrence longtemps considérée comme déloyale de la part des restaurants de ville qui ne peuvent eux, louer un sable qu’ils n’ont pas…
Tout avait commencé avec des sandwiches et des pans-bagnat, puis ce fut des salades niçoises et des frites. Beaucoup de plagistes continuaient alors, avec une certaine sagesse, à démonter leurs cabines de déshabillage, leurs estrades en bois ainsi que leurs pontons. Ils savaient que les coups de mer, que les Provençaux appellent depuis des siècles « coups de labech », détruiraient leurs aménagements avec la régularité des saisons. Mais, l’appât du gain fut le plus fort et aux cannisses et aux terrasses en bois succédèrent bientôt des murs en parpaings, des terrasses et des pontons en béton armé. Avec la complicité des élus de tout bord, qui pour de bonnes et moins bonnes raisons, laissèrent faire, les plagistes pérennisèrent leurs établissements en dur et à l’année sur le domaine public. Mieux, ils convainquirent les communes de leur venir en aide lorsque la mer reprenait ses quartiers d’hiver et qu’aux équinoxes les coups de labech balayaient le littoral, allant jusqu’à demander, comme à Cannes, qu’on maitrise la houle en installant un boudin, sorte de récif artificiel au large de la baie…
- coup de labech à Cannes -
Puis, un beau jour (pour les écolos en tous les cas), une loi scélérate vint briser cette belle ordonnance… Il s’agissait de « la loi littoral » du 3 janvier 1986. Votée à l’unanimité à l'Assemblée nationale, elle devait jeter les bases juridiques nécessaires pour lutter contre la pression immobilière et redonner au public accès au bord de mer. Sur la Côte d’Azur, les sentiers littoraux ont ainsi pu être aménagés et ouverts aux promeneurs. Une avancée appréciée si l’on en juge par le nombre de visiteurs qui les empruntent. En ce qui concerne les constructions, la loi a permis de freiner le mouvement mais « la loi du marché » s’oppose à « la loi littoral » et à son esprit. La pression sur les élus de la part des propriétaires qui aspirent à vendre leurs terrains au prix fort, la demande croissante d’habitations au plus près de la Méditerranée, rendent le combat inégal même si le Conservatoire du Littoral, établissement public chargé de la protection des côtes et des rivages lacustres, fait de son mieux pour éviter la catastrophe. Des combats ont été gagnés, des projets abandonnés ou retoqués avec plus ou moins de bonheur mais les menaces restent toujours d’actualité.
Pour ce qui est des plages données en concession à des privés, la situation est différente car des habitudes avaient été prises, dont celle de bâtir sur du sable (d'où l'expression…), des promesses faites, et il est difficile objectivement de faire marche arrière toute et de mettre sur la paille à défaut de sable, des professionnels pour la plupart sérieux et qui ont investi lourdement (le béton y est pour quelque chose…). Plusieurs préfets ont donné l’impression qu’on pouvait remettre le dossier à plat. Certains sont même allés jusqu'à ordonner la destruction de quelques établissements azuréens. Les puristes et les protecteurs de l’environnement pensèrent un instant que cette loi qu’ils jugeaient opportune, aurait gain de cause et que petit à petit l’espace public serait rendu au public, ne serait-ce qu’en hiver. Mais y a-t-il un hiver sur la Côte ? Pas pour les commerçants en tout cas. Des centaines de restaurants de plage restent ainsi ouverts toute l’année le midi sans compter un certain nombre de soirs en été durant lesquels les feux font artifices et les DJ vibrer les platines…
- chef d’œuvre en péril ! à ce titre pourrait faire partie des exception à la règle…
Le secrétaire d’État au tourisme, Frédéric Lefebvre, est venu il y a quelque jours sur la Côte pour refroidir l’ardeur des écolos et remonter la… cote d’amour du gouvernement (qui en a bien besoin) auprès des professionnels de la restauration sur sable en leur promettant que tout serait fait pour qu’ils n’aient pas à démonter leurs installations en hiver, chose qu’ils ne faisaient déjà pas et auraient eu beaucoup de mal à faire, ayant optés pour des installations en dur. On peut donc observer que l’exception donnée aux plagistes opérant dans une station balnéaire ayant obtenu le statut de « station touristique » accordée aux communes possédant un office du tourisme**** et une offre de plus de 200 chambres d’hôtels… va se généraliser à toutes les communes du littoral. Les cinq nouvelles concessions de Cagnes-sur-Mer, visitées pour la circonstance par le secrétaire d’État accompagné par Louis Nègre et Lionnel Luca, sont, elles, démontables. On peut tout de même apprécier le paradoxe de toute cette opération de communication puisque, de toute façon, ces établissements démontables ne seront pas démontés et s’inscriront de manière quasi définitive dans le paysage…
Certes on aura gagné en esthétique et les réparations à effectuer après un coup de mer devraient pouvoir être faites plus rapidement. Tout le monde semble donc se réjouir hormis les écolos bien absents sur ce dossier qui ne pourront que constater que le béton a encore un bel avenir sur la Côte d’Azur !
Alain Dartigues
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