Tecate. Avant le retour dans la plaine…
Les autres étaient redescendus dans la plaine. Vous connaissiez le chemin du retour, alors vous aviez décider de rester là-haut, seul, un long moment.
Le soleil s’était levé depuis quelques heures déjà. Vous étiez au faîte de la montagne que les amérindiens disaient sacrée. Ils disaient aussi que l’on y ressent, la nuit, allongé sur le sol, d’étranges vibrations, mais vous n’aviez rien ressenti parce que, sans doute, il vous manquait ce qu’on appelle la foi, cette croyance inconditionnelle qui vous étiez inconnue.
Assis sur votre sac de couchage, vous laissiez courir votre plume sur le carnet, observant le rythme de votre pensée. Tout avait l’air facile ce matin. L’acte d’écrire semblait naturel. Dans ce décor, tout était à sa place, la plume, la feuille… au même titre que la gourde d’eau dans votre sac, que le caillou sur le chemin. Vous ne cherchiez plus à prouver que vous pouviez écrire, vous écriviez. Le geste était beau. Il suffisait à lui-même. L’air était si pur. La longue descente vous donnerait la même joie, vous vous en réjouissiez à l’avance.
Le temps passait, vous étiez calme, en paix avec vous-même et avec le reste du monde. Un oiseau de proie habita le ciel, très haut. Vous admiriez son aisance, son apparente maîtrise de l’espace. Il plana un long moment puis disparu.
A rester là, sans bouger, vous découvriez que la vie n’était pas loin, que, sur cette rocaille, la vie n’était pas que minérale. Le silence n’était plus aussi silencieux. Une taupe apparut, les yeux clignotants tournés vers un soleil levant encore bien pâle. Quelques oiseaux sans pedigree passèrent à toute vitesse près de mon perchoir, indifférents à ma présence. Une espèce de musaraigne sortit de son trou et détala, réalisant que j’étais assis tout près. Puis, les insectes prirent le relais. Quelques abeilles sauvages, un bourdon, des papillons... partagèrent votre territoire. Vous reconnaissiez aussi un bousier qui roulait avec ses pattes arrière une boule plus grosse que lui. Un serpent traversa le sentier. Partout la vie était présente. Perdu dans le fatras de vos pensées ordinaires, votre regard caressant les objets à la superficie des choses, vous l’aviez oublié, n’est-ce pas. Pourtant, hier soir, avec vos compagnons, vous évoquiez un monde idéal, vous discutiez de son évidente et apparente beauté. Certains parlaient de leurs voyages et des magnifiques paysages qu’ils avaient vu et photographié. Mais personne n’écoutait plus personne. Chacun attendait son tour pour prendre la parole avec une fébrilité contenue pour raconter votre anecdote. Vous étiez pourtant bien loin de la beauté du monde… celle-ci n’a pas besoin d’être décrite, elle se suffit à elle-même.
Tecate, Mexique, 1972