Bahamas. Toujours plus au Sud… Turks et Caïcos.

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- suite de « Radio Bahamas » -


11 février 1977. Nous avons eu beaucoup de vent et de soleil avant de débarquer à Georges Town, capitale de Great Exuma island. Le port est bien protégé par une barrière de rochers parallèle au rivage. Du courrier nous attend au Out island inn, un complexe hôtelier qui fait aussi office de poste restante. Des nouvelles de France et d’Angleterre. Ça fait chaud au cœur. Nous ancrons à Stocking island et y retrouvons Whisper et Delivrance. 

17 février. Sortie pédestre, devenue rare depuis notre départ de la Floride. Comme sur la majorité des îles visitées, les routes goudronnées sont quasiment inexistantes. A la sortie de la ville, nous remarquons un hôtel abandonné. A l’intérieur, l’horloge s’est arrêtée. Couverts d’un couche de poussière, tout est intact : bureaux aux tiroirs ouverts, la réception avec quelques papiers à en-tête sur le comptoir, les cuisines et leurs immenses frigos, boîtes d’épices étiquetées sur leurs étagères... Quelle fée Carabosse a donc figé cette scène, et pour quelles mystérieuses raisons ?

19 février. Visite au fameux Blue hole de Stocking island dont nous avons beaucoup entendu parlé. Il est situé en face de George Town. Pas simplement un attrape-touristes mais un lieu fascinant et mystérieux. John et moi nageons à sa surface. Les différentes teintes de bleu se chevauchent et accentuent l’impression de profondeur infinie. Je suis pris d’un léger vertige. Une dizaine de raies de grande taille viennent jouer près de nous comme pour nous dissuader de nous engager plus profond. Départ de Whisper et de Delivrance pour la Nouvelle Orléans. Dommage, nous étions très complices avec des valeurs communes. Nous ne les reverrons plus. 

22 février. Nous quittons cet ancrage jusque-là très protégé. Le vent forcit et il ne nous est pas favorable.  Après une demi- heure de navigation, nous rebroussons chemin et décidons de nous arrêter près de la bouée indiquant la présence d’un récif corallien peu profond. Nous pensons y trouver des langoustes. Effectivement, il y en a. C’est un peu la pêche miraculeuse. Nous en prenons trois. Elles sont énormes. Leurs queues font la longueur de mon avant bras… 


Le lendemain, nous cinglons en direction de Long Island. Un voyage de nuit. Nous avons la mauvaise surprise, en arrivant à proximité de Clarence Town, de constater que les phares annoncés sur la carte ne fonctionnent pas. Nous redoublons de prudence à l’approche de la passe qui se révèle étroite et dangereuse.

Le village à l’allure mexicaine ne manque pas de charme avec ses deux petites églises qu’on aperçoit de loin et qui servent de points de repère. Nous nous réapprovisionnons en œufs, légumes frais et fruits dont un régime de bananes que nous suspendons sur le pont... 

1er mars. Le vent s’est levé dans la bonne direction. Nous partons de bonne heure. Je me sens fiévreux. J’ai dû prendre une insolation sur cette plage près de Clarence Town. Je m’affale sur la banquette, laissant à John et à Anne le soin de nous mener à bon port.

2 mars. Le vent forcit mais nous décidons de naviguer au moteur nous faufilant entre les nombreux têtes de coraux qui protègent l’île de Mayaguana. Le village a bénéficié d’une certaine prospérité due à la présence, à proximité, il y a une dizaine d’année, d’une base de l’armée américaine. Il n’en reste que des ruines que nous apercevons au loin. Les habitants semblent tous venir d’une même ethnie africaine. Ils sont grands, beaux, altiers mais peu bavards. Comme dans de nombreux autres lieux d’Amérique centrale et du Sud, nous sommes des « gringos », des Américains et nous symbolisons, par notre seule présence, le colonialisme, l’envahisseur sans foi ni autre loi que celle du plus fort. Nous apprendrons au passage que, sur centaines îles, des entreprises américaines sont venues racler et transporter toute la terre arable possible pour enrichir leurs plantations d’ananas en Floride…

Nous notons que, depuis Clarence Town, nous avons passé le tropique du Cancer. Petite pensée à Henri Miller, un de mes auteurs préférés… Je suis encore un peu faiblard avec un reste de fièvre. Je ne faisais pas le fier alors que le vent soufflait à un 8 degrés sur l’échelle de Beaufort. Mais cette nuit, dans l’anse qui nous accueille, c’est le calme le plus plat. Le bateau semble flotter sur un cousin d’air…


- l'épave du Nain jaune -

3 mars. Après s’être mis en règle avec les autorités portuaires, nous passons devant le voilier qui s’est échoué il y a peu sur des récifs. On a du mal à comprendre une telle erreur de navigation car les vagues viennent s’y briser dessus et les signalent de loin. Faisait-il nuit ? Nous nous approchons . Il s’agit du « Nain Jaune », un ketch d’environ 13 mètres. Ses propriétaires l’ont abandonné à son triste sort. Dedans tout est intact. Je récupère une carte maritime mouillée en guise de souvenir. Le vent nous est contraire et nous nous mettons à l’abri derrière l’île en attendant qu’il tourne. La présence d’un barracuda d’une taille inhabituelle nous dissuade d’aller chasser. A chaque sortie, il est là et nous regarde fixement, ouvrant et refermant son impressionnante mâchoire et ses dent acérées. Il doit bien mesurer deux mètres de long. On a beau savoir qu’il n’attaque pas mais, prudence quand même...

9 mars. Nous partons dans la soirée pour les îles Turks et Caïcos. Nous n’y arriverons que le 11 mars car, les alizés, un instant favorables, nous avaient suggéré d’aller directement aux îles Turks. Nous y arrivons de nuit, fatigués. Sur la carte, les indications nous paraissent insuffisantes. Par précaution, nous ancrons à l’approche de Cockburn Harbour. Nous ne sommes pas déçu. Le lieu en vaut la peine. De plus, l’eau de mer s’est réchauffée ce qui nous permet d’apprécier plus confortablement et plus longuement nos promenades sous-marines. 




- Grand Turk -

C’est toujours une joie d’admirer la diversité de la faune et de la flore. Langoustes et crabes, font désormais partis de notre quotidien. Se sont les plus faciles à pêcher. Nous en mangeons même au petit déjeuner. Les poissons de pleine eau, bonites, balistes et autres sont rares et rapides. Ils se cantonnent surtout du côté oriental des îles d’où viennent les vents de l’Atlantique. C’est là aussi que les requins sont les plus nombreux. Aujourd’hui, nous avons croisé un permit géant, un bon mètre de long…. avec des reflets dorés et argentés. Cette espèce de carangue a la particularité de se nourrir de crabes et de crevettes sur les hauts-fonds. Sa chair est succulente. Quelques dauphins se sont invités un court instant à la fête, mais d’évidence nous ne les intéressons pas… nous sommes de trop petits poissons pour jouer avec. Traversé aussi un énorme ban de jeunes barracudas qui nous ont superbement ignoré, Dieu merci !

Les tombants sont ici magnifiques et l’eau est parfaitement transparente sur au moins une vingtaine de mètres. A la limite de l’un d’eux, nous observons des morceaux de papier remontant à la surface. Se sont des étiquettes de boîtes de lait concentré sucré de la marque Eagle brand. La date de péremption indique que son contenu serait impropre à la consommation depuis une année. Nous devinons qu’elles viennent d’être jetées à la mer avec l’idée de les voir disparaître dans les fonds marins. C’est raté. Il  y en a une cinquantaine, à environ une quinzaine de mètres. C’est un peu à notre limite de portée en apnée. Qu’à cela ne tienne, nous nous employons à les remonter. Nous en ouvrons une. Certes, le lait s’est épaissi et a une couleur jaune foncée mais il est parfaitement comestible et sans danger. Cela fera notre bonheur pour le reste du voyage. Ce  jour-là nous nous nous gâtons. Au menu : soupe de lentilles, maquereau écossais en… conserve, vin californien… 

Arrivée au port d’un sloop, pas de moteur, des voiles usées jusqu’à la trame, surchargé de matériels et de passagers épuisés. Se sont des haïtiens. Nous n’en saurons pas plus mais nous imaginons qu’ils ne sont pas forcement en règle dans leur recherche d’un lieu accueillant. 


- bateau venant d'Haïti...

15 mars. Un ami de John, Steve Bridges, artiste à Gloucester (GB), vient nous rejoindre pour quelques jours. Il se révélera un agréable et discret compagnon de voyage, capable d’apprécier cet environnement exceptionnel. En route pour Salt cay, court arrêt pour se ravitailler en langoustes. Je suis devenu un expert. J’en capture deux grosses en les saisissant à la main. Elles stridulent, ce qui me laisse à penser qu’elles n’apprécient guère ce qui leur arrive… Les langoustes auraient-elles une âme ? Vous avez deux heures...

Nous ramassons aussi quelques conques et pêchons plusieurs hogfish (labres) pour compléter le dîner de ce soir. Alors que nous sommes sur un haut fond, pas plus d’un mètre cinquante de profondeur et que, par endroit, algues et cervelles de Neptune frôlent la surface, un requin vient tourner autour de nous. Sa présence dans si peu d’eau et son comportement agité calme nos ardeurs... Nous en resterons-là.

L'archipel dispose de quantité très limitée d'eaux souterraines. De ce fait, les habitants ont pour habitude d'installer des citernes afin de recueillir l'eau de pluie destinée à l'irrigation des végétaux. C’est ce que nous constatons à Salt cay. Beaucoup de vent et pas un arbre pour le freiner ou pour se mettre à l’abri du soleil. C’est ici qu’étaient installées des salines qui firent sa relative richesse. Ceci explique cela... 



- Salt cay -

Turks et Caïcos sont en fait, deux archipels composés d’un chapelet de minuscules îles. Un temps espagnol, puis français, c’est maintenant une possession britannique. Elles recèlent de nombreuses espèces endémiques, lézards, serpents, insectes, plantes, organismes marins. De plus, c’est une aire de reproduction importante pour les oiseaux de mer.

17 mars. Nous récupérons du courrier à l’Admiral arms inn. C’est le premier hôtel construit dans les parages. Et depuis, apparemment, peu d’autres s’y sont installés. Sa liste de cocktails exotiques où le rhum et le gin dominent est étonnante. Cela ne nous empêche pas, entre deux Cuba-libre  d’enrichir nos connaissance. Ainsi, nous apprenons de ce gentleman-pêcheur que les conques ont besoin de 3 ans pour arriver à maturité. Pour les langoustes, il faut sept ans pour qu’elles atteignent leur taille adulte alors que la taille légale de prise - des cornes à la fin de la tête - est de 5 inches (12,7 cm). Ici, à l’usine voisine, elles se vendent entières à 1 dollar 25 cent la livre alors qu’un peu plus tôt, à Spanish Wells, la queue seule coûtait 3 dollars... En saison - d’août à fin mars -  les professionnels se rendent sur les lieux de pêche autorisés qui se trouvent entre 5 et 20 miles de là. Ils capturent jusqu’à 200 livres de langoustes par jour (pas loin de 100 kilos) mais en effectuant des plongées entre 5 et 10 mètres de profondeur.

18 mars. Nous changeons d’ancrage avec le projet de ramener quelques poissons pour le dîner car, nous n’avons ni frigo ni congélateur et devons donc nous ravitailler quasi quotidiennement. Nous n’avons pas remarqué que la fameuse usine qui congèle les langoustes, est dans l’anse voisine. Or, elle rejette dans la mer tous les déchets organiques inhérents à son activité. Une aubaine pour la faune marine, requins et barracuda en tête. Pour nous, c’était, nous allons vite nous en rendre compte, une mauvaise idée. L’eau est trouble, pleine de débris en suspension. Nous apercevons quelques requins excités et des barracudas de toutes tailles. John harponne un mérou et commence à le remmener vers lui, lorsque nous sommes surpris par un bruit métallique. En un quart de seconde, un énorme barracuda a dévoré la prise. Bon, ça y est, on a compris, on dégage !


- John et Steve -

Le lendemain, en explorant un plateau herbeux, nous nous rattrapons avec une abondante récolte de coquillages. On brosse les algues qui les recouvre et qui les rendent difficiles à repérer. Elles sont superbes. Il y a des Murex divers et variés, des casques de mer, des Florida horse, des Fighting conch, des Milk conch et quelques dollars de sable pour faire bon compte...

La mer fixe une ligne d’horizon et le soleil va la toucher avant de disparaître derrière elle. Ce n’est pas le premier soir où nous nous installons le regard hypnotisé par ce spectacle. Le ciel est clair et nous nous concentrons une nouvelle fois dans l’espoir d’apercevoir le fameux rayon vert. Un flash visible une fraction de seconde. Si bref que nous ne sommes pas vraiment sûr de l’avoir vu. Peu importe, le moment prête à la méditation tandis que la température baisse aussitôt de quelques degrés.


- à quelques secondes près...

21 mars. Nous sommes un arrêt à Fish cay, un rocher, sans plus, la houle est forte, nous dormons mal. 

22 mars. Nous nous mettons en route pour Puerto Plata, sur la côte atlantique, au nord de la République dominicaine. La chaleur est au rendez-vous. Je dors sur le pont. Nous nous amusons , tour à tour accrochés à un bout, à nous laisser traîner à l’arrière de Sumula… avec un rien d’appréhension quand même en pensant à l’appât que nous pourrions constituer pour un requin gourmand…



- arrivée à Puerto Plata, Anne et Eva -

24 mars. Nous apercevons enfin les montagnes d’Isabel de Torres, qui, véritable vigie de 800 mètres de haut, surplombent la ville. Nous débarquons dans l’après-midi. 

  • C’est une autre page qui va se tourner. John et Anne, après avoir fait un bref tour de l’île reprendront seuls le large en direction de Savannah, ville côtière de l’État américain de Georgie. Ils essuieront des forts vents contraires qui leur donneront du fil à retordre. Je resterai quelques semaines en République dominicaine et autant à Haïti avant de regagner Miami, New-York, Ottawa, Montréal et Cannes, « my home town »… J’ai pris beaucoup de plaisir, 47 ans après, à écrire ces lignes et en publiant ces photos. J’ai revécu tous ces épisodes et reconstruit le fils de l’histoire en tournant les pages de mes cahiers. J’ai retrouvé les négatifs de diapositives et les ai scanné. J’ai parcouru les îles et les cays grâce à Google map et utilisé sans vergogne les sites de recherches… Vive la révolution informatique et numérique. Vive les réseaux sociaux et Internet aussi !