Réflexions sur les « vacances » et la « forme ».

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Catégorie pour aider à vivre

Ce texte, écrit dans les années 70, et publié dans le magazine Paris-Côte d’Azur, a certes vieilli dans la... forme mais pas dans le... fond.


- La Croisette, 1968 -

Une vacance, à l'origine, C'est « le temps pendant lequel une place n'est pas occupée » ; on parlera, par exemple, de la vacance du pouvoir. Mais c'est surtout pour nous, l'époque pendant laquelle on cesse de travailler pour prendre du repos et - autant qu'il se peut - du bon temps. Nous l’avons vite oublié, mais pendant des siècles et des siècles et jusqu'à une date pas si lointaine, l’immense majorité des humains ne sut pas ce que c'était que les vacances. L’entrée dans l'ère des loisirs s'est effectuée brusquement, puisqu'avant 1936 l’expression « congés-payés » était pratiquement inconnue. Mais, n'épiloguons pas sur ce phénomène qui fait partie de l’accélération de l'Histoire et bornons-nous à examiner les problèmes que posent des mœurs si nouvelles. Car, vous l'avez sans doute remarqué, tout est problème. De nos jours plus que jamais, et chaque changement dans notre condition sociale nous pose des questions d'autant plus difficiles à résoudre qu'elles deviennent nombreuses et complexes.

C'est un problème, en effet, que celui d'utiliser au mieux cette période pendant laquelle, rompant avec les habitudes, quittant les lieux de notre habitation et de nos occupations, nous ayons devant nous un certain nombre de jours à remplir tout à loisir. Au risque de paraître pédant, je vous donne encore la définition de ce mot dont on use, aujourd'hui, tellement. Le loisir, donc, « c'est le temps dont on peut disposer sans manquer à ses devoirs. Mais, généralement, nous admettons plutôt que c'est le temps de ne rien faire, sinon prendre du plaisir, tout le plaisir qui est à notre portée.

Il semble que cela aille de soi et qu'il suffise de s'abandonner au plus dolce des farniente, sans le moindre souci, sans la moindre inquiétude, sans aucun effort ni crainte. En est-il ainsi ? Rarement, hélas! Il n'est pas un Parisien, pas un citadin en instance de départ pour les vacances, qui ne connaisse les tracas causés par l’expédition et les détails du séjour. Qu'ils prennent la voiture, le train, l’avion ou le bateau, les vacanciers, soumis tout d’abord aux lois de l’émigration, formant de nouvelles foules qui se retrouvent sur les routes, dans les stations, sir les rivages… doivent faire face à des « problèmes » qui ne diffèrent guère de ceux qui leur sont coutumiers.


- Zermatt, le Cervin, 1957 -

Les vacances idéales seraient, me semble-t-il, celles qui permettraient à chacun de vivre parfaitement à sa guise, sans avoir à compter avec les servitudes qui tiennent au besoin de se loger, de se nourrir et de pouvoir aux mille obligations onéreuses dans notre mode de vie nous accable. Préoccupations pécuniaires dont l'importance ne cesse de croître, sinon d'embellir. Mais comment y échapper ? Il faudrait pour cela se rendre dans un lieu sauvage, y bivouaquer, loin de toute tentation, frugalement, contemplativement, bref, d'une façon qui ne saurait convenir à la plupart des civilisés conditionnés que nous sommes. 

Mais enfin, chacun faisant ce qu'il peut avec ce qu’il a, et puisque-il faut l’admettre-nous ne disposons pas à loisir de nos loisirs, puisque nous sommes voués retrouver partout les avantages et les inconvénients de cette civilisation tentaculaire, il nous reste à nous en accommoder. A l’intérieur de toute structure, compte tenu du monde ou nous sommes et de ses réalités, il y a toujours place pour un arrangement personnel et cela dépend de notre habileté dans un art simple et éternel qui consiste à tirer son épingle du jeu.

Et l’on comprend bien qu'il ne suffit pas d'être en bonne santé pour se hisser au moment qui convient jusqu’aux limites (d'ailleurs rarement atteintes) de ses possibilités. La forme exige que soient réunis en nous tous nos dons, toutes nos vertus physiques et morales. Ces dernières, surtout, sont essentielles pour l’accomplissement de certaines performances. IL faut que l’athlète dispose, non seulement de toutes ses ressources musculaires, de son cœur, de ses poumons et de ses nerfs, mais encore de la plus grande confiance possible dans son pouvoir. C'est cela le moral, grâce à quoi il semble que tout devienne possible à de certains moments. Quant à savoir lequel entraîne l'autre du psychique ou du physique, c'est une question que je me suis souvent posée sans jamais la résoudre, et je me demande encore si l’on peut obtenir une certitude là-dessus. Faiblissons-nous parce que notre moral retentit sur notre santé, ou bien parce que notre santé fait baisser notre moral ? Sommes-nous vraiment fatigués dès que nous croyons l’être? Est-ce l’âme qui se ressent des faiblesses du corps, ou bien le corps qui se trouve diminué par le manque de force d'âme ?


- Hôtel Méditerranée, Cannes, 1974 -

Nous sommes loin des vacances, direz-vous ? Je ne le crois pas, puisque la forme tient un rôle si important dans ce temps des loisirs, dont nous rêvons longuement et dont nous souhaitons vivement tirer le meilleur parti. Ce temps des loisirs, ne faudrait-il pas qu'il soit aussi celui de l’épanouissement, de la joie de vivre et de tous les plaisirs qui peuvent nous venir d'être libres, à la montagne comme à la mer, en accomplissant tous les grands ou petits exploits, tous les gestes dont nous sommes empêchés le reste du temps ?

Ce qu'il y a de précieux dans la véritable forme, c'est qu'elle nous permet la décontraction. Comment serions-nous décontractés lorsque les exigences du travail, des horaires, des déplacements abusifs, des mille vicissitudes inhérentes à l’existence citadine nous causent tant de contraintes, d'énervement et de refoulement ? L'absence de contraintes devrait avoir pour effet l’ absence de crispation ; elle devrait nous valoir, donc, une plus grande aisance dans les gestes, un plus grand bonheur dans l’esprit et dans le cœur. On est, en effet, plus à l’aise sur une plage que sur les grands boulevards ; on a plus de liberté d’action dans un village de notre arrière-pays qu'à la Porte Maillot... Ce serait un crime que de ne pas en profiter pour rire et gambader, délestés que nous sommes de nos vêtements et de nos soucis !

Chanter, danser, jouer, aimer, courir, nager... Voilà de quoi constituer de saines occupations, voilà de quoi nous restituer un peu de cette vigueur naturelle et de cet entrain que les villes ne favorisent guère J'oubliais la lecture, mais, sans doute, ne l'oubliez-vous pas, vous qui lisez ce texte sans prétention et qui, peut-être, trouverez bons les conseils que Je me suis permis de donner... profitant du loisir que j'ai de remplir ces quelques pages !


- Deauville, 1966 -