Natation. Georges Cantagrill, vocation entraîneur…

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Catégorie Les paradoxales

Comme beaucoup d’entre-nous, après quatre fois vingt ans au compteur, je compte les amis sur les doigts d’une seule main. Car bien sûr, j’accorde au mot amitié, une valeur que la camaraderie et la cordialité, ne remplacent pas. Pourquoi si peu ? Parce que nous sommes trop exigeant ? Parce qu’il est « difficile d’aimer » ? Parce que, à un moment ou à un autre, c’est chacun pour soi ? Parce que c’est la vie tout simplement ?



- Georges Cantagrill -


Voilà, Georges est de ces rares qui manquent dans mon décor, son absence laisse un vide, un sentiment d’inachevé. Nous n’avons pas assez profité l’un de l’autre, nous sommes resté trop longtemps éloignés par les aléas. Et puis, un jour, je reçois un appel et j’apprends que tu es condamné. Je vais alors te voir, une dernière fois. Tu as encore des forces et ton esprit résiste. Je reste quelques heures avec Louise à évoquer des souvenirs communs. Parfois, tu souris. Je pars, sachant que je ne te reverrai pas, que tu ne vivras plus que dans ma mémoire et celle de tes proches. Peu de jours après, le 14 octobre 2003, je t’écris ces lignes que je sais, tu ne liras pas :


« A l'ami Georges,

Je me suis installé devant mon ordinateur pour taper ce petit mot. Tu le sais, mon écriture est affreuse et devient vite illisible, au point que j’ai parfois du mal à me relire. J’apprécie d’autant plus l’option traitement de texte que j’utilise un correcteur d'orthographe qui me propose des choix lorsque le mot ne semble pas correct. Et l'orthographe, c'est mon point faible. J’aime à dire que c’est à cause de la méthode globale et, c’est sans doute vrai…

J'appréhendais ce déplacement. Nous n'avons pas parlé de maladie mais de souvenirs, fait un peu de philosophie de comptoir - c'est ce que nous faisions le mieux. J'étais content d'évoquer mon père qui t'aimait bien. Il avait reconnu en toi un autre galérien de la vie, un de ceux qui n’ont pas été ménagés par les épreuves, un de ceux aussi qui veulent vivre la tête haute. Un révolté aussi, capable de se battre contre les moulins à vent, ne serait-ce qu'en parole. Où est-il le temps où nous refaisions le monde, assis dans un bistro autour d'un café ou attablé devant une assiette de spaghettis bolognaise au Petit Carlton ? 

Le temps a passé et il ne nous a pas ménagé. Nous avons vu des être chers disparaître. Nous avons connu des échecs, des déceptions, des trahisons… Nous avons bien sûr notre part de responsabilité dans tout ça. Comment rester en paix avec soi-même et surtout avec les autres quand justement, le temps et le destin ne nous ont pas épargnés ? Sans doute en privilégiant le souvenir des moments d’euphorie provoqués par des réussites professionnelles ou familiales, les moments de bonheur qu’on aimerait voir durer...

Voilà, je ne sais très plus bien quoi dire. Je ne me sens pas le courage d'aller plus loin. Je sais c'est de la pudeur, du respect aussi pour ce qu'il y a de plus intime en nous lorsque nus sommes face à la mort. »



- Georges Cantagrill, Monaco -


Avec ceux qui connaissaient peu ou prou Georges, j’ai envie de partager quelques anecdotes. Georges Cantagrill venait des Pyrénées orientales, de la région de Saint Giron. Il en gardera l’accent et aussi l’amour du rugby, qu’il soit à 13 ou à 15. Il a d’ailleurs le physique de l’entraîneur actuel de l’équipe France de rugby, Fabien Galthié. Comme lui, il est taillé dans une branche sèche. Pas un pouce de gras superflu, tout est brûlé par une énergie farouche, celle liée de la survie. Comment en est-il venu à se passionner pour la natation de compétition ? Un peu par hasard. A la recherche d’un métier, il passe le diplôme de Maître Nageur Sauveteur et commence à donner des leçons sur les plages privées de La Croisette en échange de leur surveillance. Il faut se lever tôt et quitter la plage tard le soir. Il se fait vite une clientèle et aura comme élèves les enfants de Picasso. Il y a dans les années 60, très peu de piscines et encore moins de piscines ouvertes en hiver. Il part donc dans les stations de ski alpines où il fait de petits boulots dont celui de perchman. Mal payé et mal logé, il sera obligé avec ses colocataires, de brûler peu à peu tous les meubles et les portes de l’appartement prêté par la direction pour se chauffer… Il travaillera aussi, toujours aussi mal payé, à Vallauris dans les poteries dont les fours sont chauffés au bois... 

Au Petit Carlton, devant son café noir, très sucré, il lit tous les matins L’Équipe en fumant sa première Gauloise de la journée. Il est imbattable sur à peu près tous les sports, mais la natation l’intrigue et il commence à se documenter sur le sujet. Je lui prête mes carnets d'entrainement et un livre, Sports et Médecine (on y parle de l'adaptation du cœur à l'effort, de la bradycardie du sportif...). A la piscine du Montfleury, avec son ami Guy Le Droff, il regarde les nageurs qui s’entraînent. Il y a Pitou Marguier, Pierre Fauroux, Christian Nigoux et quelques autres. Il les suit en compétition, visite Louis Mignatelli à Grasse qui a un belle brochette de nageurs dont Pierre Canavèse qui ira d’ailleurs aux JO de Tokyo, Max Delys, Alain Dartigues, Philippe Fabron… Un club de natation est en train de renaître à Cannes, il propose ses services. Le voilà pris au jeu… Mais toujours pas de piscines couvertes dans le secteur, or, c’est la condition sine qua non pour rivaliser avec les meilleurs. Il se rendra donc à Megève, puis à Grenoble, à Eschirolles aussi. Il travaille comme MNS tout en entraînant ses nageurs dont Anne Gaudibert et Franck Benoiton. C’est galère d’autant qu’il se marie avec Anne qui finit ses études universitaires et lui donnera... trois enfants. 

Il a alors l’idée de créer un marque de maillot de compétition. Il achète deux machines à coudre professionnelles et se met au travail. Il fait tout, le patron, la découpe, il coud, il propose ensuite les maillots aux clubs de natation qu’il visite. Ça marche plutôt bien mais il se fait renverser en vélo sur la route et c’est une autre galère à laquelle s’ajoute de graves soucis personnels. Mais sa force de caractère, son côté têtu, le sauve du pire jusqu’au jour où une maladie met un point final à son aventure. RIP Georges, je pense toujours à toi !



- Frank Benoiton, Georges Cantagrill, Anne Gaudibert,
piscine du Port Canto, 1968 -


- Georges Cantagrill, piscine de Monaco, 1968 -


- Gorges Cantagrill, Louis Mignatelli, 
piscine Chiris, Grasse, 1970 -