Marseille. Passions partagées au MUCEM...
Faut-il encore présenter Yvon Lambert, galeriste français et marchand d'art internationalement reconnu, sans parler de la fondation dévolue à l'art contemporain qui porte son nom à Avignon ?
Oui, car sous ses dehors prestigieux, cet homme maintenant âgé de 88 ans - il est né en 1936 à Vence - n'a jamais oublié ses racines méditerranéennes et la culture dans laquelle a baignée son enfance. Cet aspect de sa biographie est le point de départ de Passions partagées, la nouvelle exposition temporaire que présente le Mucem en ce printemps 2024. Comme pour Jeff Koons, voici trois ans, c'est l'approche comparatiste qui a été privilégiée par ses deux commissaires, Marie-Charlotte Calafat et Stéphane Ibars (qui ont également signé le catalogue dialogué qui accompagne l'exposition).
Cinquante œuvres sorties spécialement de la collection Lambert et cent cinquante issues des réserves du Mucem composent donc le corps de Passions partagées qui s'étire sur cinq sections ouvertes à la déambulation, selon une scénographie soigneusement conçue par l'agence Nathalie Crinière. Ainsi prend forme un dialogue silencieux mais intense entre des objets anciennement utilitaires et des œuvres - tableaux, sculptures, installations - affichant d'emblée leur statut artistique. Mais si le temps a élevé progressivement les premiers au rang d'objets d'art, les seconds ne sont pas toujours à la hauteur de leur ambition : comme, dans la section 2, cette paire de sabots signés par Jean-Michel Basquiat qui fait pâle figure à côté de ce Chef-d'œuvre du sabotier, ensemble de figurines en bois sculptées par Urbain Olié à la fin du XIXe siècle.
Car une fois le projet compris, on cherche du regard, comme dans toute exposition, les œuvres les plus abouties. Et ce ne sont pas forcément celles qui sont le plus cotées à l'argus du monde de l'art. Le grand cibachrome d'Andres Serrano à l'entrée, les douze verres de Louise Lawler et le tableau de Robert Combas, Enée descend aux Enfers, appartiennent certainement à cette catégorie. Tout comme les deux petites compositions abstraites de Sol Lewitt dont on a du mal à se déprendre, tellement elles sont lumineuses. Non moins admirable est Biblioteca, grand format semi-abstrait de Miquel Barcelo aux tons flous et assourdis, véritable éloge du livre avec, au centre du tableau, le peintre qui s'est représenté en lecteur.
C'est la même fascination qui se dégage de Cette obscure clarté qui tombe des étoiles d'Anselm Kieffer, vaste acrylique sur photographie ornementée de graines de tournesol. Photographe mondialement reconnue, Nan Goldin nous surprend ici par des photos empreintes de sérénité, aux antipodes des portraits de junkies new-yorkais qui ont fait sa célébrité. La nostalgie émane des portraits d'acteurs et d'actrices (Antonin Artaud, Simone Signoret, Arletty, Jean-Pierre Cassel) réalisés par Douglas Gordon sur du verre délicatement corrodé. Et l'émotion est maximale devant ce tableau d'ex-votos légendés par la jeune poétesse japonaise Ryoko Sekiguchi.
Ne fut-ce que pour ces œuvres-là, cette exposition est de celles qui ne peuvent être ignorées par les amateurs d'art, d'où qu'ils viennent. Il n'y a rien de mieux à voir présentement à Marseille.
- Du 17 avril au 23 septembre 2004. Réservations par téléphone au 04 84 35 13 13 ou, par mail à : reservation@mucem.org/mucem.org
Jacques Lucchesi