Rhodes et Lindos en 1970…

Crédits:
textes par

(suite de La Crète en 1970) 

Du petit port d’Agios Nikolaos, en Crète, je rejoins Rhodes en ferry. Pourquoi Rhodes plutôt que Santorin ou Karpatos ? Parce c’était moi, parce c’était elle… ou parce qu’un Dieu de l’Olympe l’avait décidé ?




Le Colosse de Rhodes n’est plus là, depuis longtemps. La sixième merveille du monde s’est effondrée lors d’un séisme. La trace de son existence ? Un simple rappel à l’entrée du port,  deux colonnes chacune surmontée d’une modeste sculpture en bronze. La ville est le reflet de son passé guerrier et des civilisations qui se sont disputées sa possession. Les Chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem y ont bâti des remparts et une forteresse - toujours debout - pour se protéger des incursions maritimes des Ottomans. L’île sera néanmoins occupée par les Turcs pendant près de 400 ans, comme en témoignent les bâtiments religieux dans le quartier éponyme.

Nous sommes en novembre et le temps est idyllique. Peu de touristes dans les rues du centre et les tavernes du port sont loin d’être pleines. Je m’attable volontiers à l’une d’elles. « Ena miso kilo krassi se parakalo » : Un demi kilo de vin, s’il vous plaît ! On me sert donc une carafe de vin peu alcoolisé, du résiné, que j’ai appris en Crète à apprécier, après il est vrai, un temps d’adaptation… Le serveur apporte de généreux accompagnements, olives noires, pistaches, quelques petits morceaux de feta et une feuille de vigne farcie sur une soucoupe ainsi que quelques petits morceaux de poulpe grillé. Je me promène sur les quais ; beaucoup de bateaux de pêche près des moulins à vent aux ailes immobiles ; ceux réservés à la plaisance sont amarrés côté quai d’honneur. La vieille ville est pleine d’odeurs que je devine orientales. Des cireurs de chaussures s’activent, des coiffeurs habiles à manier le coupe-chou, s’appliquent. 

En faisant le tour des remparts médiévaux, je repère la gare des autobus, mon moyen de transport préféré, celui qui me permet d’échanger quelques sourires et quelques mots vite appris. Kalimera, yassou, efkaristo poli, ligo, nero, pou iné (bonjour, à la tienne, merci beaucoup, peu, eau, où est-ce), font partie, en attendant mieux, de mon maigre vocabulaire… Dans les rues et sur les routes, l’alphabet grec est un handicap pour les novices mais cela donne une opportunité de demander son chemin aux autochtones. D’ailleurs, c’est décidé, demain je prends le bus pour le village de Lindos dont un voisin de table, un anglais, m’a dit le plus grand bien. Why not ? C’est parait-il un lieu incontournable pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Grèce et à l’archéologie. 

J’arrive dans l’après-midi. Il y a deux autobus de touristes. Le guide commence à compter ses passagers pour les rapatrier dans la capitale, distante de 50 kilomètres. Les petites rues du village se vident. J’ai juste le temps de faire ma première visite à l’Acropole, à son temple d’Athéna et à son mur de fortification construit sur un rocher qui domine les environs. Je suis séduit, ému. Le lieu choisi est grandiose et inspirant, témoignage d’une civilisation hellénique qui a laissé tant de splendeurs tout autour du bassin méditerranéen. Le gardien du site vient m’avertir que les visites sont terminées. Je regagne le centre du village à la recherche d’une « room to let ». J’en trouve une juste derrière l’unique taverne. Le petit déjeuner est compris : café grec, tartines beurrées, œuf à la coque, pot de miel et un yogourt. Sa peau crémeuse épaisse est délicieuse. 

L'unique taverne devient illico ma cantine. Pas de menu, pas de carte. La femme du patron nous mène dans l’arrière salle qui fait office de cuisine. Là, deux ou trois marmites mitonnent des sortes de ragoûts qui baignent dans l’huile, forcement d’olive. C’est un peu la surprise du chef. Il y a des morceaux de poisson, de calamar, de mouton ou d’agneau ; sans oublier la moussaka où parfois les pâtes remplacent les pommes de terre. Les odeurs sont fortes, celles des sauces épicées prédominent. Pas de desserts, baklavas et yogourts au miel sont consommés plus tôt dans l’après-midi.

Nous sommes quelques un à avoir fait de ce lieu un point de rendez-vous. Je découvre qu’il y a une petite colonie informelle d’étrangers qui séjourne ici en automne et en hiver. Ses membres y passent quelques semaines, voire quelques mois. Des scandinaves surtout ; quelques anglais. Il y aussi de jeunes américains, canadiens, australiens qui, avant d’entrer sur le marché du travail, prennent une année sabbatique. Logiquement, je me rapproche d’eux. Ils louent de petites maisons de village dont le sol des terrasses est pavé de galets de tons clairs, plantés verticalement et agrémenté de frises bicolores, en galets également. 

Le soleil se couche tôt en novembre et nous passons beaucoup de temps chez les uns et les autres. Nous refaisons le monde. Je fais la connaissance d’une étudiante de Buffalo qui me parle de William Blake, un peintre poète anglais ; je lui parle d’Henri Miller et de Jean Giono. Près de la plage, nous habiterons quelques semaines une maison d’un confort rudimentaire ; une table et trois chaises, un lit posé sur une estrade en bois, quelques ustensiles de cuisine, une cheminée. Toutes ces rencontres, ces échanges d’idées, me conduisent à remettre en cause mon style de vie, mes objectifs à court et moyen terme. De retour dans la cité du Festival international du film, je quitte mon poste. Je suis certain que l’environnement, la façon de vivre des grecs que j’avais pu croiser, y sont aussi pour quelque chose. Dans ce décor, le soleil ne brille pas pareil, il me pousse à aller à l’essentiel et à me détourner des clinquants de la fête. 


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Rhodes, 1970 -


- Lindos, l'Acropole, 1970 -


- Lindos, le village et l'église au centre, 1970 -


- Lindos, vue de l'Acropole, 1970 -


- Lindos, les galets...


- Lindos, sur l'Acropole, 1970 -


- Lindos, sur l'Acropole, 1970 -


- Lindos, l'Acropole, 1970 -