Tribune : cette Europe que nous voulons...
Professionnels de la Finance rassemblés au sein de la Chambre Nationale des Conseils Experts Financiers née dans le sillage de la Communauté économique européenne (CEE), nous prenons la parole pour défendre l’Europe que nous voulons.
Les
élections européennes de mai prochain n’ont jamais été aussi
importantes qu’incertaines dans notre histoire, aussi bien pour
l’avenir de la Communauté elle-même, que pour tous les acteurs
économiques, sociaux et monétaires. Nous, professionnels de la
Finance, sommes attachés à ce qui a fondé l’Europe, par la
création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier
(CECA) en 1950. Cet élan pacificateur, impulsé à la suite de deux
conflits mondiaux, est l’œuvre des "Pères fondateurs",
marqué par la volonté d’apporter la prospérité aux peuples et
un destin partagé. Il fut parachevé par la naissance de la
Communauté économique européenne (CEE) en 1957 ; l’année même
où, nous avons créé la Chambre Nationale des Conseils Experts
Financiers (CNCEF), syndicat professionnel rassemblant, représentant
et défendant les professionnels de l’économie, de la finance, du
droit et du chiffre.
C’est pourquoi, face à l’incertitude du scrutin qui s’annonce, relayée par les instituts de sondage depuis plusieurs semaines et qui prédisent des projections hostiles à une stabilité des institutions, nous prenons la parole, pour rappeler ce que l’Union Européenne peut compter dans notre quotidien. Mais aussi ce qu’elle apporte au-delà de la catégorie socio-professionnelle à laquelle nous appartenons. Bien entendu, l’argument majeur est cet espace de paix dans lequel nous vivons. 72 ans sans conflit en France ; une exception que l’Histoire n’a jamais connue depuis 2000 ans. Mais au delà, c’est aussi la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux qui a ouvert le champ des possibles depuis 1986. Ce qui a permis en 20 ans, de doubler le Produit Intérieur Brut par habitant, voire même pour certains pays européens, de le multiplier par 10 et d’améliorer les conditions de vie des ressortissants. Un PIB de 15 300 milliards € qui a ouvert un véritable marché commercial qui pèse aujourd’hui 5800 milliards €. Il a donné une force indiscutable à l’Europe, dans le concert international, avec plus d’un 1/3 des exportations mondiales à son initiative ; soit 2,5 fois plus que les exportations chinoises et 3 fois plus que les exportations des États-Unis.
Bien souvent, les débats autour du traité de Maastricht, ravivent l’utilité même de la monnaie unique. Mais au fond, comment l’Europe des “quatre libertés” (circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes) serait-elle viable sans elle ? Comment pourrions-nous cohabiter ensemble et avoir des échanges entre pays membres depuis 1999 sans cette valeur ? Souvent critiquée elle aussi, la Banque centrale européenne (BCE), contribue à la stabilité des prix en limitant l’inflation et se veut la garante du pacte de stabilité et de croissance. Elle impose aux États membres de maintenir un niveau de déficit et de dette publique. On pourra nous contredire bien sûr, en rappelant que la crise économique et financière de 2008 a mis en lumière les lacunes de l’Union Européenne, notamment sa faiblesse en matière de convergence des économies, par ses mécanismes de solidarité insuffisants, ou encore par la solidité discutable des établissements financiers.
Nous avons pu voir cependant comment le “semestre européen” a permis de mieux contrôler les comptes des États membres, d’éviter les dérapages budgétaires d’un seul pays qui entraîneraient les autres vers l'abîme. La BCE a racheté les dettes des pays en difficultés. Et nous allons même, si elle est encore en création, vers une Europe bancaire où le projet d’union des marchés de capitaux relancera durablement l’investissement, donc la croissance et l’emploi. Dans le même temps, les professions de la finance ont été réglementées en abondance avec l’objectif de protéger l’épargnant ; ce qui n’a pas été sans conséquence en France pour nous. Croyant à la résilience qui motive de nouveaux modèles d’approches commerciales, nous nous sommes adaptés. Réalistes, nous sommes conscients que la zone euro, telle qu’elle est construite, présente encore des aspérités et qu’à l’union monétaire et bancaire, devrait s’adjoindre une union budgétaire. C’est d’ailleurs l’enjeu des années à venir, même si l’Allemagne lui préfère des politiques transnationales. Nous savons aussi qu’avec notre partenaire historique, nous éviterons la sortie de l’euro, envisagée par un certain nombre de partis populistes partout en Europe et qui, au regard des analyses des économistes, serait extrêmement dommageable. Il est donc le moment de dire que responsables, nous attendons le renforcement de la zone euro. La politique des petits pas vaut mieux que celle de grands reculs qui conduisent au renoncement.
Ajoutons aux menées populistes, l’épineuse question du Brexit. Le 15 janvier, le Parlement britannique a massivement rejeté l'accord sur le Brexit, négocié depuis 2017 avec l'Union européenne. Alors qu’il a été repoussé au 12 avril, quelles seront les options sur la table ? Est-il possible d'éviter un "no deal" ou bien sera-t-il repoussé, voire annulé ? A cette heure, prudence est mère de sûreté. Une chose est certaine, le futur Parlement issu des urnes, ne comportera plus de délégation en provenance de la Grande-Bretagne et il faudra composer l’avenir à 27. Parmi ces problématiques, quel message va envoyer la France ? Emploi, climat, immigration, libre-échange, alimentation… l'impact sera déterminant sur le scrutin pour l'ensemble des politiques européennes.
Nous, professionnels de la Finance, pensons que la pédagogie doit gagner le plus grand nombre par la raison. Si nous attendons que les règlements et directives soient davantage harmonisés au service de l’économie réelle, des entreprises et des citoyens, nous pensons qu’il faut réaffirmer la vocation de l’Europe. Une vocation sociale, économique et démocratique vis-à-vis des consommateurs et des entreprises. Sociale, car toutes les avancées ne seront possibles en matière de croissance et de redistribution, que si les citoyens et pays membres sont dans l’acceptation des institutions et des réformes communes. Économique, car les solutions budgétaires et financières d’un pays, ne sont efficaces qu’à la condition de respecter les critères européens et d’être comprises et admises du plus grand nombre. Enfin, démocratique, car la compréhension et le partage des mécanismes de base de l’économie et des assemblées représentatives de l’UE permettent d’éviter les dérives populistes.
Plus qu’à une concurrence entre pays membres, c’est bien vers un pacte d’unité d’actions que nous devons tendre, face à la Chine et aux États-Unis, dont la puissance pèsera bien plus que nos différends internes. Voilà qui, nous l’espérons pourrait entretenir l’espérance des Hommes et poursuivre l’œuvre des “Pères Fondateurs” qui, bien avant nous, affirmaient “qu’une Europe unie serait une Europe prospère”.
Didier Kling,
Président de la CNCEF,
Stéphane Fantuz, Président de la
CNCIF,
Christelle Molin Mabille, Présidente de la CNCIOB.