Canada : la descente du Yukon en radeau

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Nous quittons le Lac Laberge pour nous rendre à Carmacks. Un périple d'environ 300 km.

*quatrième article sur le sujet :

- photos © Romain Dartigues -

La grisaille s'installe


Pressés de partir du chantier qui s’est éternisé et de la grisaille qui s’installe, nous quittons le rivage vers dix-sept heures. De la fin du Lac Laberge où nous sommes, nous devons rejoindre le fleuve Yukon à quelques centaines de mètres de là. Le radeau étant constitué d’environ deux tonnes de bois, c’est sans grande surprise qu’il s’avère peu maniable. Nous commençons par le tirer en l’amarrant aux canoës et pagayons de toutes nos forces. Mais la vitesse à laquelle nous avançons est risible. Le guide nous promet qu’une fois que nous aurons rejoint le courant, le plus difficile aura été fait, nous pourrons alors nous laisser porter sur les flots dix heures par jour, sans efforts, profiter de l’aventure…

En attendant, nous hissons les canoës sur le radeau et tentons de gagner de la vitesse avec une voile de fortune tenue à bout de bras et dont l’efficacité est plus psychologique qu’autre chose. Les rives se rapprochent et lorsqu’elles ne sont plus qu’à deux cents mètres l’une de l’autre, le courant nous emporte enfin. Une heure et demi plus tard, grisés par la vitesse, nous passons devant un point de campement. C’est trop tôt pour le guide qui veut faire du kilomètre dans l’espoir de rattraper le retard. Lorsque la lumière commence à baisser, nous commençons à chercher activement un site adéquat pour le camp du soir. Nous réalisons alors que notre supertanker de bois, une fois lancé, ne s’arrête pas en criant lapin. Nous passons plus de deux heures à tenter d’accoster, mais, soit l’inertie nous en empêche, soit les rives ne sont pas propices.

- glissements de terrains -

Glissement de terrains


Lorsque le soleil a totalement disparu, à vingt-deux heures passées, nous nous inquiétions sérieusement. Cela fait tout de même plus de quinze heures que nous fournissons des efforts et personne n’a envie de naviguer dans une nuit noire, sans possibilité de manœuvrer, avec tous les risques que cela comporte. Finalement nous butons, heureusement sans dommages, sur un arbre couché, dans un coude du fleuve. Nous en profitons pour nous ancrer à des arbustes. Les abords ne sont qu’enchevêtrements de broussailles et de bois mort. Nous allons passer ici notre première nuit sur le radeau, entre les canoës. Le repas, expédié à la lueur de nos lampes frontales, nous nous écroulons, serrés dans nos sacs de couchages.

- terres brûlées -

Terres brulées


Il nous faut deux bonnes journées pour trouver notre rythme, un rythme ponctué par les incidents de route qui deviennent notre quotidien. La navigation absorbe une grande partie de notre énergie. Il faut veiller à ne pas heurter les nombreux arbres couchés le long des berges et ceux qui flottent, véritables icebergs de branches et de racines. Ce sont des pièges qui peuvent causer de sérieux dommages à notre radeau et au pire jeter un membre de l’équipage dans de l’eau dont la température baisse régulièrement au fur et à mesure de notre voyage vers le nord. Une eau qui fait au plus 14° ce qui a tendance à raccourcir le temps consacré à nos ablutions…

Malgré notre attention et nos efforts pour anticiper les obstacles, nous ne pouvons pas tous les éviter. Notre esquif semble avoir sa propre vie et renâcle à nous obéir, un rien suicidaire, car si nous n’intervenons pas, il y a longtemps qu’il se serait définitivement échouer contre un embâcle en formation. En fait, sa propension à aller où bon lui semble vient essentiellement de sa largeur, 4 mètres. Lorsqu’il n’est pas au centre du fleuve, là où le courant est le plus fort, il a tendance à pivoter. Une partie du radeau captant le contre-courant, le dirige vers le rivage. Nous tournons alors en rond et il nous faut parfois presque une heure pour nous sortir de ce mauvais… courant. Des manœuvres épuisantes et frustrantes car, dans nos esprits, tout cela aurait dû être plus simple et le voyage plus divertissant et joyeux.

Accident

Nous aurons ainsi, plusieurs accrochages sérieux qui nécessiteront des arrêts. Pour l’un d’eux, il nous faudra une demi-journée pour réparer, un flotteur a été touché, soulevant les rondins. Une autre fois, c’est la structure supérieure qui souffre, une autre fois c'est la pagaie qui fait aussi office de dérive… C’est la galère plus souvent qu’à notre tour. Le paysage défile, forêts denses d’épinettes et autres conifères, bouleaux, éboulements, montagnes usées, marécages, cabanons et cimetières à l’abandon, ruines de matériel d’extraction aurifère, carcasses de bateaux qui ont connu leurs heures de gloire… au temps de la ruée vers l’or. Toujours à la recherche du temps… perdu, nous ne prenons que très rarement le temps de flâner, de faire des photos, d’approfondir nos connaissances.

J’en viens à fantasmer sur des situations extrêmes pour mieux m’y préparer. Que faire si l’un de nous tombe à l’eau ? Il va être entraîné par le courant et aura peu de chance de le remonter. Sur le radeau, il est impossible d’accélérer et les changements de directions sont aléatoires. Il nous faudrait donc rapidement alléger un des canots avant de le mettre à l’eau. Arriverions-nous à le rejoindre ? Imaginant le temps nécessaire pour toute l’opération et constatant que le port du gilet de sauvetage est irrégulier et le respect des consignes de sécurité quasiment inexistant, je ne suis pas très optimiste sur l’issue. De plus, nous sommes à plusieurs dizaines de lieues à la ronde de toute civilisation. Si nous déclenchons notre balise de détresse, les secours ne nous trouverons pas de sitôt, et si nous sommes séparés… Je préfère penser à autre chose.

- jeune orignal -

Jeune orignal


Nous approchons de la mi-septembre, c’est ici la fin de la saison. La température de l’air et de l’eau baisse de jour en jour et rend les populations de maringouins (moustiques), bêtes à feu et autres calamités piquantes, moins belliqueuses et nombreuses. Lorsqu’elles sont, en pleine journée, en recrudescence, cela annonce généralement que nous allons croiser le chemin d’animaux sauvages de taille, orignaux et ours par exemple. Même si nous ne les voyons pas toujours, nous savons alors qu’ils ne sont pas bien loin. Les jours raccourcissent nous laissant moins d’heures pour naviguer. En revanche, les nuits étant plus froides, la fonte des glaciers ralentit. Or, dans cette région où il pleut relativement peu, le fleuve et ses affluents sont essentiellement alimentés par l’eau des glaciers. Le débit ralentit donc, diminuant les aléas de la navigation. Le soir, pour cette même raison, le fleuve, moins alimenté, se calme plus encore. Le vent cesse. C’est le temps d’accoster, de préparer le campement et le repas. Comme nous n’avons pas cru bon de… s'encombrer de pilules de stérilisation pour l'eau, il faut systématiquement la faire bouillir, cela prend du temps et de l’énergie… c’est la corvée !

Brouillard matinal

Même si ce trajet est un classique pour les amateurs de nature sauvage et d’aventures, il n’y a pas foule sur le fleuve. Avant la grande étape de Carmacks, située grosso modo à mi-parcours - c’est là que nous abandonnerons le radeau - nous ne croiserons que peu de monde. Notre canoéiste japonais solitaire du Lac Laberge est bien loin, devant, plus au Nord, plus près du but… Nous passerons quelques heures, à la suite d’un de nos arrêts impromptus, avec un couple de Français qui vivent à fond leur passion. Installés depuis cinq ans dans la forêt, ils ont construits seuls leur… cabane au Canada, une maison en rondins et vivent sans eau… courante, sans électricité bien sûr. Ils ont loué une concession et « trappent » l’hiver, lynx, loutres, castors, lapins… Ils aménagent un sentier de près de 200 km de long pour accéder à leur concession depuis leur chalet. Sans commentaires !

- jeune aigle royal… à la pêche -

Jeune aigle royal


Autre rencontre, celle d’un étonnant groupe d’une dizaine de copains du troisième âge. Attirés par notre radeau, ils arrêtent leurs six canoës, posent quelques questions puis se baignent, s’éclaboussant comme des enfants… ils nous raconteront, en faisant circuler une flasque de whisky et quelques cigares, que chaque année, ils se lancent un défi sportif. Cette fois, il s’agissait de descendre en canoë le… Yukon. Les deux amérindiens que nous croiserons plus tard, ne sont ni dans le même état physique ni le même état d’esprit. Ils sont à la recherche de deux de leurs compagnons partis avec eux chasser. Le regard un peu vitreux, ils nous donneront pas beaucoup d’autres précisions. Nous apprendrons à Carmack que l’un des disparus a connu une fin tragique, sans doute mort de froid.

- Aurore borealis -

Aurora borealis


Une autre rencontre, attendue celle-là, tout du moins par moi, se fera dans une froide nuit. Je me réveille vers trois heures du matin. Il y a un peu de brouillard comme souvent, mais un rayonnement vert domine. Il s’agit bel et bien d’une aurore boréale. Ce sera la seule à laquelle j'ai eu la chance d'assister. Dommage, c’est un spectacle singulier et grandiose. Je secoue mes équipiers qui jettent un coup d’œil depuis la tente à travers l'air glacial de la nuit.

- Common Mergus merganser -

Mergus Merganser


Depuis deux jours nous avons changé de tactique. Les deux canoës ont été mis à l’eau, allégeant d’autant le radeau, devenu plus maniable, plus rapide aussi. Mais, il faut rester prudent, ne pas trop s’éloigner les uns des autres car le vent et les courants nous jouent des tours. À plusieurs reprises, les canoéistes éprouveront des difficultés à rejoindre le « navire amiral ».

- arrivée du radeau à Carmacks -

Arrivée à Carmacks


Le 9 septembre, nous entamions la descente du Yukon, après avoir quitter Whitehorse le 1er du même mois. Le 16, nous accostons à Carmacks. Beaucoup d’efforts pour y arriver, quelques inquiétudes pour notre sécurité et une ambiance qui s’est plutôt détériorée au fil du fleuve, des fortunes et des infortunes. J’hésite à continuer, ma présence n’étant pas indispensable. Sur les deux canoës, l’équipe peut fonctionner à quatre, le nombre prévu au départ. Je laisse le choix au guide qui m’incite, malgré notre entente précaire, à continuer. Je crains d’avoir des regrets, de rester sur un demi-succès ou un demi-échec, c’est selon… Je pèse le contre mais c’est le pour qui l’emporte.

D’après le récit de Romain Dartigues.

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