Canada : le projet de descente du Yukon se précise,

Crédits:
textes par

L’équipe se renforce, le radeau se construit…

Le projet de descente de la rivière du Yukon sur 700 kilomètres prend peu à peu forme. Si en soit, il reste du domaine du raisonnable sachant que des centaines de visiteurs empruntent chaque année plusieurs secteurs de ce parcours en canot ou kayac, en prenant des risques limités, l’affaire est ici un peu plus compliquée et aléatoire. En effet, l’initiateur de l’expédition a vendu à son sponsor l’idée d’une descente à l’ancienne, sur un radeau en bois. Il s’agit de le construire sur place et de l’équiper d’une tente de prospecteur, avec son poêle, l’ensemble étant présumément très photogénique… propre à véhiculer des valeurs Nature, Virilité, Aventure… Si le projet peut surprendre et paraître exceptionnel, j’apprends qu’il ne l’est pas autant que ça. Les habitants de Whitehorse voient passer chaque année, des originaux qui réalisent d’une façon où d’une autre la descente sur un radeau construit par leurs soins.

Premier constat, nous sommes pour l’instant trois, un chiffre impair qui sied mal à l’entreprise. Nous devons en effet louer deux canots de 6,50 m de long qui, dans un premier temps, voyageront sur le radeau jusqu’à mi-trajet avant de devenir l’unique moyen de transport jusqu’à l’arrivée à Dawson city. Il faut donc renforcer l’équipe d’un rameur supplémentaire car les canots seront chargé et quasiment impossibles à manœuvrer seul. Premier candidat approché, un américain d’une soixante d’années. Malgré de sérieuses références de baroudeur, il semble plus habitué à des expériences en solitaire et peu enclin à se plier à une discipline de groupe ; tout au moins c’est ce que le guide avance. Le risque, c’est qu’il abandonne en cours de route, c'est-à-dire environ à la moitié du parcours, à Carmack, environ 300 kms plus bas, la seule étape en fait, où il est possible de rejoindre la civilisation…

Au hasard des va-et-vient dans le camping, nous rencontrons deux jeunes femmes. Inséparables, l’une est parisienne et termine un congé sabbatique d’une année autour du monde. C’est son dernier mois. L’autre est une néo-zélandaise, style baba-cool, qui, après avoir travaillé en Grande-Bretagne, a l’intention de rester quelques temps au Canada. Elles semblent toutes les deux sportives et débrouillardes, en tous les cas, capables de vivre quelques temps à la dure.

Elles sont tentées par l’aventure mais souhaiteraient bien la faire ensemble. Seule contrainte, la parisienne insiste sur une date de retour qui lui permette de prendre le vol vers Paris qu’elle vient de réserver. C’est décidé, ce sera donc le Club des Cinq. Nous nous réunissons. Il s’agit de définir le projet, les moyens, le rôle de chacun, les consignes de sécurité, le matériel à acheter (cordes, clous, pelles, marteaux…), la nourriture nécessaire pour au moins deux semaines.

Première phase, construire le radeau. Le guide a consulté quelques images d’archives et a des idées sur la question. Il faut aussi obtenir les autorisations pour le bois. Les filles acceptent de s’occuper prioritairement de la popote. Chacun s’engage aussi à participer à l’ensemble des tâches, que ce soit la construction du radeau ou l’installation des camps… Les consignes de sécurité sont énoncées par le guide. Détenteur de deux diplômes professionnels, le français et le canadien, il inspire confiance et semble exigeant sur ce point. Chacun devra prendre une assurance rapatriement d’urgence, garder le gilet de sauvetage durant la navigation et devra vérifier que son équipement tienne compte des réalités prévisibles liées à ce type d’aventure et surtout aux aléas climatiques. Chacun d’acquiescer et de se repartir les diverses tâches.

Les journées sont bien remplies. Pour ma part je dois compléter mon équipement. Celui utilisé pour mes randonnées autour de Jasper cet été, n’est plus suffisant. Je remplace prioritairement mon sac de couchage par un modèle plus volumineux et capable d’endurer des températures jusqu’à -7°C. Nous laissons en dépôt à Whitehorse le matériel personnel qui ne semble pas nécessaire, n’apportant, suivant en cela les consignes du guide, que le strict du strict minimum. Un minimum, qui, avec le recul, se révélera être limite… La pharmacie par exemple est réduite à sa plus simple expression. Ainsi, on sera juste en paracétamol, en briquets, vêtements, couvertures de survie et même en… dentifrice. Nous nous apercevrons qu’il aurait été confortable de ne pas abandonner certaines autres fournitures, comme un purificateur d’eau et des allume-feu. L’effort nécessaire à l’entreprise et sa durée ayant été sous-estimés, il faudra sérieusement se réapprovisionner à mi-parcours.

Certaines démarches se finalisent au dernier moment. Ainsi l’achat d’une balise de détresse, élément vital pour la sécurité. Il s’agit d’un appareil, un GPS de la marque Spot, capable d’envoyer chaque jour un point exact sur notre situation géographique à une liste d’adresses Internet préprogrammées et d’alerter les autorités en cas d’incident majeur ou d’accident. L’appareil se révéla fiable, nos amis et parents pourront suivre nos déplacements au jour le jour et nous n’eûmes pas, fort heureusement, à vérifier à quelle vitesse les secours seraient arrivés si jamais…

- photos © Romain Dartigues -

Les barils sur le quatamarant

Les choses sérieuses commencent vraiment le premier septembre. Nous voilà au bord du fleuve, à Whitehorse, avec nos deux canots, notre matériel et nos 12 barils de kérosène usagés qui serviront à soutenir, en toute discrétion, le radeau en bois. Première difficulté, il faut transporter tout ça le plus près possible de notre point de départ, là où nous construirons l’embarcation, à l’autre bout du Lac Laberge. Pour cela il faut descendre le fleuve sur une vingtaine de kms et traverser le lac. Peu large, il s’étire sur environ 30 kms. En nous servant des deux canots comme flotteurs, nous fabriquons une sorte de catamaran. En avant toute ! Portés par le courant, il nous faudra deux jours pour arriver à l’autre bout du lac que nous traverserons en pagayant et en… galérant.

Souper devant la tente prospecteur

Nous montons le camp et installons la tente et le poêle. Nos réserves alimentaires sont stockées à plusieurs dizaines de mètres de là. On conseille une bonne centaine de mètres (nous ne nous conformerons que rarement à cette recommandation). Les ours noirs et les grizzlis sont nombreux dans ces territoires. Les yukonnais se plaisent à dire qu’il y a chez eux plus d’ours que d’habitants. Rien qui excite leur odorat et leurs papilles, ne doit être laissé à proximité, sous peine de les voir venir saccager en pleine nuit le campement… au risque de nous prendre à partie.

Récupération de clous

La nuit suivante, nous passons à côté de la catastrophe. Nous nous réveillons en toussant. La tente, hermétiquement close pour nous protéger de la froidure, est pleine d’une fumée épaisse dégagée par le poêle. Nous sortons tous en petite tenue. Je traînerai une fièvre pendant quelques jours. Ce n’est pourtant pas le moment. La construction du radeau qui devait prendre deux ou trois jours, mobilise plus de forces et de temps que prévu. Il faut trouver des solutions à des problèmes techniques inattendus, choisir des arbres - morts ils nous sont autorisés - les couper, les ébrancher, les déplacer, les assembler. Il faut s’enfoncer de plus en plus loin dans le bois pour trouver ceux qui correspondent à nos besoins. Des insectes piquants nous y attendent, en masse, excités par notre sueur… et notre peau plus fine que le gibier local. Il nous manque des clous. Qu’à cela ne tienne, nous en récupérons sur des bois de flottage le long du rivage. Il faut les redresser. Tout cela prend du temps. Le retard s’accumule, la parisienne s’inquiète des retards et, quoi qu’il en soit, cette partie de l’aventure s’allongeant, tout le monde s’impatiente. À ce rythme là, tiendrons-nous les délais ?

Structure du radeau

Nous faisons tous les jours le dur apprentissage du passage de la théorie à la réalité. De la photo jaunie qui nous montrait un de ces radeaux qui descendaient les chercheurs d’or vers leurs destinations et sa réalisation, il y a un monde. Comment allons-nous faire avancer ce monstre de 7 mètres sur 4, jusqu’à la sortie du lac ? Comment le manœuvrer ensuite, le diriger, l’arrêter ? Voilà toute les questions que nous nous posons au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Nous fabriquons une dérive, elle se révélera trop lourde et peu efficace, des perches de 6 mètres pour pousser…

Coucher de soleil sur Hikaru

À part les mouches et autres insectes suceurs de sang, il n’y a pas grand monde pour s’étonner de notre curieuse initiative et éventuellement nous conseiller. Un jeune japonais fera un court arrêt. Il parle un peu l’anglais. Nous comprenons que c’est la première fois qu’il fait du kayac et qu’il compte bien descendre en solitaire le fleuve dès qu’il se sentira plus sûr de lui. Il s’exerce devant nous avant de disparaître. J’apprendrai plus tard qu’il a mené à bien son aventure. Le beau temps est de notre côté, à l’exception du dernier jour qui reflète un peu l’état d’esprit du groupe… Nous nous levons déjà fatigués à l’heure des poules… d’eau, des huards et des bernaches, vers 7 heures. Le soir nous sommes épuisés, les mains meurtries, nous nous couchons lorsque le soleil a déjà disparu, pas avant 23h.

Pose du plancher

Six jours, et plus de cent-vingt arbres plus tard, nous chargeons le radeau et nous voilà prêts à emprunter celle qu’on surnomme respectueusement, la « Grande rivière ». Nous sommes pressés de quitter les lieux du chantier et de changer d’air. Nous partons vers 17h, rendus confiants par la longueur des jours. C’est un peu tard pour ce qu’il reste à faire. Nous l’apprendrons vite, à nos dépends…

Le départ… A suivre !

D’après le récit de Romain Dartigues.