La Crète. Du pittoresque des années 70, au développement du tourisme d’aujourd’hui...

Deux images de la Crète, à près de 50 ans d'intervalle, sont commentées dans le journal grec « Patris » sous la plume de Maria Kallergi. Les deux articles cités par la journaliste illustrent la différence entre la Crète pittoresque d’hier et la Crète touristique d’aujourd’hui. Le journaliste Alain Dartigues y avait séjourné en 70 et y était retourné en 2017. Il évoquait son attachement à la lumière de la Crète et de ses habitants.


[NB. Pour compléter l’article de « Patris », les photos ne sont pas celles publiées sur le site du média, par ailleurs visibles ici]



- Matala, pêcheur de poulpes et ramasseur de sel de mer -


- Matala, ramassage du sel dans les creux des rochers -


- Parfois, les plus belles histoires naissent d'une coïncidence. C'est exactement comme ça que celle-ci a commencé, un après-midi devant mon écran d'ordinateur, quand, en cherchant quelque chose qui n'avait rien à voir, je suis tombé par hasard sur un article intitulé « La Crète en 1970 ». Il était publié dans le magazine en ligne « Paris Côte d’Azur ». Je l’ouvris par curiosité et me retrouvai dans une Crète aujourd’hui disparue. Alain y décrivait avec sensibilité, son voyage sur l’île, en octobre 1970. Il venait de terminer son stage de journaliste à Genève, lorsque son père, Fernand, journaliste et éditeur chevronné, lui offrit un billet d’avion Genève-Athènes. « Un cadeau qui a changé ma vie », me confira-t-il. Alain ne connaissait alors la Grèce qu’à travers les livres d’Henry Miller et les images du Zorba de Kazantzakis. Il était loin de se douter que ce billet le mènerait vers une île inoubliable : la Crète.

Dans son article, qui résume ses impressions de voyage, le jeune Français erre sur une île pauvre mais lumineuse, « comme si rien n'avait changé depuis cent ans ». La description d'Héraklion est imprégnée d'odeurs, de visages et de sons : « Dès que le navire s'est approché du port, les odeurs d'herbes sauvages nous ont accueillis. Elles m'ont rappelé la Corse…. Dans les rues de la ville, j'avais l'impression d'être aux confins de l'Orient. Les hommes jouent au backgammon, caressent leur chapelet, fument. Les prêtres, avec leurs longues barbes noires, semblent venus d'une autre époque. » Son appareil photo capture précisément cette atmosphère : cafés aux chaises en bois, salons de coiffure donnant sur la rue, enfants courant pieds nus, femmes en vêtements noirs et tabliers. Une Crète pauvre, mais pleine d'âme.

Cnossos le déçoit par sa « restauration excessive », mais Phaistos l'enchante : « Je suis resté à observer la lumière changer dans les ruines jusqu'à ce que la nuit recouvre la plaine. J'étais seul et j'ai senti qu'il y avait encore quelque chose de l'âme minoenne. » De Phaistos, il continue en bus, puis à pied, vers Matala, alors petit village de pêcheurs, rendue populaire par des hippies. « Leurs grottes étaient vides. Les autorités ne voulaient plus d'eux ici. J'ai trouvé une chambre simple avec un générateur qui ne donnait de l’électricité que quelques heures par jour. »

Alain décide de marcher jusqu'à Agia Galini, alors village quasi inconnu. En chemin, il rencontre un couple crétois qui ramassent du sel dans les rochers, à la cuillère. « Le sac à dos de l'homme, triangulaire et coloré, me semblait ingénieux. Je ne savais pas que, des années plus tard, il deviendrait un accessoire à la mode. » La nuit, il dort à Tympaki « sur des draps pas très propres, mais chez des gens au grand cœur ». Son voyage le mène finalement sur une île qui « vit au rythme des siècles, sans horloge, sans hâte. Ici, le temps s'étire comme la lumière ».



- Kritsa, filage de la laine de mouton -


- Kritsa, l'alambic à raki du village -


À Agios Nikolaos, il découvre la beauté de la Crète orientale. « La mer pénètre dans la ville… Je ne savais pas alors que cinquante ans plus tard, je reviendrais ici. »  La Grèce de 1970 vit toujours sous le régime des colonels et il le ressent. « À Agia Galini, un avant-poste militaire à l'entrée du village m'a rappelé que le pays était sous surveillance. Et pourtant, les gens étaient libres. Cela se voyait à leurs regards. »

Une cinquantaine d'années plus tard, Alain revient en Crète. Cette fois, non pas en jeune homme errant avec un sac à dos, mais en journaliste, rédacteur et éditeur expérimenté. En 2017, sur le même blog, il publie l'article « Une oasis de luxe dans l'été crétois », consacré à l'hôtel Elounda Mare, premier Relais & Châteaux de Grèce. Son texte est un hymne à la nouvelle Crète - celle du tourisme, de la gastronomie et de l'hospitalité. Pourtant, derrière les descriptions du luxe d’Elounda Mare, et l’évocation des parfums capiteux des Bougainvilliers et du jasmin, il y a quelque chose de plus profond : la rencontre avec la nature même du lieu.

« Oui, l’île a changé », m’écrivait-il lors de notre dernier échange. « Mais le sourire des Crétois est le même. Leur générosité, leur gentillesse naturelle, rien ne l’a altéré. Le tourisme a apporté du réconfort, mais n’a pas enlevé l’âme.» Il a décrit son impression d’Agios Nikolaos d’aujourd’hui : « Plus de boutiques, plus de couleurs, mais la même sérénité dans le port. La ville s’est agrandie, sans perdre son caractère. » Quand je lui ai demandé si la Crète de 2017 lui rappelait celle des années 70, il a souri : « C’est comme revoir un être cher après de nombreuses années. On reconnaît son regard, même si les rides l’ont changé ! »

Alain Dartigues est un journaliste et éditeur français, fils de Fernand Dartigues, fondateur du magazine « Paris Côte d’Azur ». Il vit dans le sud de la France, dans la région cannoise, d’où il dirige toujours le média en ligne du même nom, avec son épouse Louise. Son père était l’une des figures emblématiques du journalisme local français. En 1959, il crée l’édition papier de « Paris Côte d’Azur », initialement intitulée Cannes-Festival, un magazine laïc et culturel consacré à la Côte d’Azur, au Festival de Cannes, aux arts et à l’art de vivre méditerranéen. Après sa disparition en 2000, Alain et Louise décident de poursuivre son œuvre. Le magazine entre progressivement dans une nouvelle ère et devient exclusivement numérique en 2003. Depuis, le site référence plus de 8 500 articles, sur des sujets aussi variés que la culture, les voyages, l’écologie, la gastronomie et l’histoire. Dans son format numérique, le magazine conserve l’esthétique et l’esprit de l’ère papier : un langage élégant, des photographies soigneusement sélectionnées et une nostalgie du journalisme d’antan qui sentait bon l’encre, à l’écoute du monde à un rythme humain.

Certaines photographies de la Crète de 1970 y avaient été postées, parmi des textes de voyage et des textes culturels. Certaines sont aujourd’hui reprises et publiées pour la première fois en Grèce, dans le journal Patris. En noir et blanc, avec la simplicité et la douceur des choses qui ne cherchent pas à à faire du buzz. Des photographies d'une île qui regarde l'objectif sans poser - un lieu où le temps s'était arrêté un instant, avant l'arrivée de la tempête d’un développement en quête de sens. 

Alain me confia aussi qu’ à l'époque, il voulait acheter une petite maison en Crète. « J'étais fasciné par sa nature, son histoire et ses habitants. Mais à cette époque, avec la dictature, les étrangers ne pouvaient pas être propriétaires. Peut-être l'ai-je finalement acquise, non pas par contrat, mais avec le cœur. » Alain, comme son père, appartient à une génération de journalistes qui pensaient que voyager est avant tout un acte de compréhension. Et c'est précisément ce que montrent ses photographies : un regard qui respecte, qui observe sans détour, qui découvre sans conquérir. Et peut-être, à travers le regard de ce voyageur français, qui arpenta autrefois les ruelles d'Héraklion et arpenta la plaine Messara, pourrons-nous, nous aussi, reconnaître notre propre Crète - celle qui demeure, malgré les années - un paradis d'hospitalité abritant des gens exceptionnels. 

Maria Kallergi



- Crète, 1970 -

- Crète, labourage, 1970 -


- Noria, irrigation d'une oliveraie, plaine de Masala -


- Tymbaki, 1970 -

- Agia Galini, 1970 -



- Agios Nicolaos, caïques,1970 -


- Crète, sentier, 1970 -