Les législatives françaises vu du Québec…
Ces dernières élections françaises n’ont pas laissé indifférents nos cousins québécois. Les médias, presse en tête, y sont tous allés de leurs éditos et de leur coup de gueule. Pierre Bourque, ancien maire de la capitale économique de la Belle Province, Montréal, livre ici son analyse :
- photo (c) Gérald Garitan -
« Ces élections marquent un tournant important dans l’histoire de France et influenceront fortement ce pays d’où proviennent mes ancêtres. Ce pays exceptionnel m’a nourri et influencé comme aucun autre et son avenir me préoccupe plus que celui de tout autre pays. »
Une tempête législative s’abat sur la France.
Décidées et imposées du haut de l’Olympe élyséenne, par Jupiter en personne, Emmanuel Macron, les élections législatives ont convié aux urnes environ 50 millions de Français pour un deuxième tour, le 30 juin dernier alors que le verdict du 1er tour avait été largement dominé par le parti d’extrême droite, le Rassemblement National. Suite à quoi, son président, Jordan Bardella, se voyait déjà au poste de Premier Ministre tandis que son nouveau bras-droit, Éric Ciotti, allié de dernière heure venu du parti Les Républicains, se voyait lui, Ministre de l’Intérieur, pourchassant avec ardeur les nombreux immigrants africains et eurasiens cherchant à pénétrer dans le... Royaume de France.
Les élections européennes, suivies par la dissolution de l’Assemblée Nationale, avaient projeté les forces du RN de Marine Le Pen et de Jordan Bardella au premier rang de ces deux consultations politiques (élections européennes et 1er tour des législatives). Il ne restait au RN qu’à cueillir les fruits de ces victoires éclatantes et de s’acheminer vers une victoire décisive le 7 juillet dernier. Pour eux et pour la plupart des analystes, tout était joué et la France serait gouverné par un parti d’extrême-droite, une première dans son histoire récente, soit depuis le régime de Vichy. C’était sans compter sur un changement de trajectoire de cette puissante tempête qui, comme les ouragans en Floride ou en Nouvelle-Orléans, peuvent changer de cap et de destination en quelques jours.
Le parti politique du Président Macron, appelé Renaissance et situé au centre de l’échiquier politique, s’était associé à ses alliés du parti Modem et au parti Horizon pour former le parti Ensemble. Cette majorité présidentielle issue des élections de 2022 dirigeait tant bien que mal la France car minoritaire à l’Assemblée Nationale. Emmanuel Macron a donc décidé d’associer son parti Ensemble à la Gauche française, appelée Le Nouveau Front Populaire et dominé par le Parti des Insoumis, dirigé d’une main de fer par le Robespierre Jean-Luc Melanchon, pour faire dévier de sa course la victoire redoutée du RN.
Dans près de 200 circonscriptions sur les 577, les candidats du parti Ensemble comme ceux du Nouveau Front Populaire devaient se désister et ainsi renoncer à se présenter, s’ils étaient arrivés près d’un candidat du RN. Il n’y aurait ainsi aucune élection triangulaire mais seulement des duels pour faire face à un candidat du RN. En perdant le libre-choix de leur vote, les citoyens devaient apporter leur soutien à un parti adverse, soit par sacrifice ou par obéissance aux consignes de leur parti. Environ 125 candidats du Nouveau Parti Populaire et 60 candidats du parti Ensemble se sont ainsi désistés. Coups de bluff ou coups de dés, personne n’osait croire que le stratagème réussirait. Ces 2 partis ont joué à quitte ou double et ils ont gagné, car la vaste majorité des électeurs ont obéi aux consignes qui visaient à faire barrage à la victoire annoncée du RN.
En effet, à 20 heures, le 7 juillet, le Ministère de l’Intérieur proclamait le Nouveau Front Populaire comme 1er parti avec 184 députés, suivi par le parti Ensemble avec 166 députés, lui- même suivi par le parti du Rassemblement National avec 143 députés en incluant 17 députés emmenés par Éric Ciotti. Le parti les Républicains complétait le tableau avec 65 députés, soit environ le même nombre qu’avant la dissolution tout en conservant ses bastions historiques comme Cannes, Le Cannet et Antibes sur la Côte d’Azur. A ces résultats, on doit ajouter 10 élus de Divers Gauche et 9 de Divers Droite pour un total de 577 députés, ce qui fixe la majorité parlementaire à 289 députés.
Quelques minutes à peine après la proclamation des résultats, le chef des Insoumis, Robespierre-Melanchon réclame sur les ondes, la gouvernance de la France pour son groupe, l’adoption du programme électorale du Nouveau Front Populaire, incluant l’abolition de la loi sur les retraites, l’augmentation du SMIC à 1600 euros par mois, la réduction de la semaine de travail pour les métiers difficiles et plusieurs autres mesures toutes ou presque ayant été adoptées par décrets ou via le 49.3 lorsque nécessaire. Tel était selon Melanchon le vœu de la majorité des Français, car la tradition veut que le parti ayant le plus grand nombre de députés choisisse le Premier Ministre dans ses rangs et qu’il dirige le gouvernement. De plus, il rejetait toute alliance ou tout compromis avec les autres partis et axait le travail de son gouvernement sur l’adoption du programme élaboré par son parti. Quelques minutes plus tard et toujours sur les ondes de la télévision nationale, Olivier Faure, secrétaire du Parti Socialiste Français, s’enlignait sur les traces du chef des Insoumis, devenant ainsi le plus soumis parmi les Insoumis. Même à plus de 100 députés de la majorité de 289 députés nécessaire pour obtenir l’assentiment de l’Assemblée Nationale, ces deux chefs des 2 partis majoritaires de la Nouvelle Gauche annonçaient publiquement qu’ils voulaient gouverner seuls et sur la base de leur programme commun.
Répartition des députés au sein du Nouveau Front Populaire :
- parti des Insoumis de Jean-Luc Melanchon 78,
- parti Socialiste Français dirigé par Olivier Faure 69,
- parti Communiste Français dirigé par Fabien Roussel 9,
- parti Écologie dirigé par Marine Tondelier 28.
La France retrouvait ses vieux démons car à ce jour, aucun compromis ne semble envisageable et de plus, le futur Premier Ministre devrait être choisi parmi les députés de la France Insoumise qui forme le contingent le plus nombreux (78 députés) au sein du Nouveau Front Populaire. Par la suite, Melanchon appelait ses troupes à la discipline et à suivre ses directives. Entre-temps, Gabriel Attal était renommé Premier Ministre intérimaire pour gérer les affaires courantes après avoir remis sa démission au Président de la République.
Que se passera-t-il demain et au cours des prochains mois et années ?
La France vient de retomber dans les ornières de la 4e République alors que les gouvernements changeaient de « cabinets » tous les mois jusqu’à l’arrivée au pouvoir du Général De Gaulle en 1958 et la création de la 5e République.
Étudiant à cette époque au collège Sainte-Marie dans le centre-ville de Montréal, je me rappelle délicieusement les trouvailles de nos représentants-étudiants qui parodiaient au cœur du Forum de Montréal les changements fréquents des gouvernements français en érigeant une succession de « bécosses » (terme québécois pour désigner les toilettes publiques ou cabinets d’aisance) en signalant la Chute puis la Rechute et la Rerechute des Gouvernements français.
Nous sommes peut-être de retour à cette période car la France, si elle a écarté temporairement l’arrivée d’un gouvernement dirigé par le Rassemblement National malgré ses 36% de votes, soit environ 10 millions de votes comparés au 27% de votes et environ 7 millions de votes pour tous les partis de Gauche, connaîtra sûrement des semaines voir de années difficiles. Il se peut même que devant ces luttes et batailles parlementaires que Jupiter-Macron récidive en août 2025 et qu’il retourne les Français aux urnes provoquant un nouveau traumatisme sociétal. De plus, je suis assuré qu’Emmanuel Macron, se rapprochant de son terme de Président, aimerait laissez de lui-même un nom positif pour l’histoire alors que la lutte pour sa succession est déjà bien engagé au sein de son propre parti comme chez ses adversaires.
A l’heure actuelle,la situation politique en France est tout simplement inextricable et il n’y a pas de Général De Gaulle à l’horizon. Depuis quelques jours,les ténors des partis importants se sont prononcés et chacun d’entre eux possède La Solution pour unifier le pays mais sans effectuer de compromis important.
À Gauche, le Nouveau Front Populaire fort de ses 184 députés exige de nommer le futur Premier Ministre et d’appliquer rapidement son programme et je ne vois pas son chef Robespierre-Melanchon faire des compromis importants malgré la présence de députés socio-démocrates comme François Hollande, et certains députés socialistes, écologistes ou communistes ainsi que les Insoumis exclus du parti par le chef mais quand même réélus comme Alexis Corbière, François Ruffin et quelques autres sans oublier Raphaël Glucksman député européen et vedette de la Gauche lors des élections européennes à la tête du groupe Place Publique.
A l’Extrême-droite, le Rassemblement National ; ce parti a été mis au ban du processus démocratique mais peut jouer les trouble-fêtes avec ses 143 députés. C’est le parti le mieux structuré, présent dans toutes les régions de France et qui se prépare déjà pour faire élire Marine Le Pen à l’Élysée en 2027. Bafoué par le parti du Président et la Gauche, le RN ne fera pas de compromis mais continuera à s’implanter encore davantage, surtout dans les grandes villes où il est toujours en minorité. Il est d’autre part difficile de penser que les 2 autres partis (Ensemble et Nouveau Front Populaire) puissent de nouveau s’entendre pour faire barrage au RN. La France ne peut plus exclure 10 millions de Français du débat démocratique. Les 2 axes de combat que sont l’insécurité en progression et le contrôle de l’immigration ne pourront se régler rapidement et le RN a encore des chances de progresser. Ce parti est celui de la sécurité et de l’ordre et a su attirer les classes ouvrières et la France traditionnelle. Les troupes de monsieur Ciotti devraient demeurer fidèles à leur alliance avec le RN malgré certaines divergences sur le plan économique car le RN défend le nationalisme économique.
Au Centre, l’on retrouve le parti du Président Macron, le parti Renaissance avec ses 99 députés. Ce parti, dirigé maintenant par le Premier Ministre Gabriel Attal a réussi à atténuer la défaite malgré la perte de plus de 100 députés. Il est l’objet de beaucoup de convoitise. Le parti Renaissance est toujours associé au Modem de François Bayrou avec 33 députés et au groupe Horizon créé par l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe qui regroupe 26 députés. Huit autres députés complètent le groupe du Centre. Le parti Renaissance, créé par Emmanuel Macron est le plus faible car le rêve de Macron d’allier des forces vives de gauche comme de droite a lamentablement échoué, sauf dans la composition du cabinet de ses ministres où l’on retrouve des bonzes de l’ancien parti des Républicains comme Bruno Le Maire, Gérard Darmanin, Rachida Dati et autres ou encore du parti Socialiste comme Gabriel Attal, Elisabeth Borne et autres. L’enracinement du parti Renaissance dans les régions de France ne s’est jamais produit. Le Modem de François Bayrou a su préserver pour son groupe une large autonomie tandis que le groupe Horizon, créé par l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe, a été constitué pour préparer la campagne de ce dernier aux élections présidentielles de 2027 où il devrait briguer les plus hautes fonctions.
Suite aux résultats des législatives et le départ du Président Macron en 2027, messieurs Attal, Philippe, Darmanin et Le Maire sont déjà en piste pour concourir au poste de Président avec une volonté de mieux s’enraciner dans les milieux populaires et intellectuels. Il me semble que Gabriel Attal, compte-tenu de sa performance aux législatives, possède une longueur d’avance sur ses collègues et éventuels concurrents.
Le parti des Républicains, rebaptisé depuis hier La Droite Républicaine, compte 65 députés et est dirigé par Laurent Wauquier. Il fait parti du décor car il date du Général De Gaulle et a donné à la France plusieurs présidents dont Nicolas Sarkozy. Ce parti a vu son ancien président Eric Ciotti se rallier au RN, mais les troupes et la majorité des députés lui sont restés fidèles. Il compte dans ses rangs plusieurs personnalités d’envergure comme Xavier Bertrand, président de la Région Haut de France, David Lisnard, maire de Cannes et Laurent Wauquier, président de la Région Rhône-Alpes.
En conclusion, la vie politique en France sera très agitée au cours des prochaines années. Pour ma part, je souhaite que les partis en présence prennent une pause durant l’été et que l’énergie se porte sur la réussite des Jeux Olympiques qui sera un marqueur important pour la France. Mais déjà, les menaces de grèves dans les transports faites par la CGT, de même que de nombreux discours appelant aux manifestations me désarçonnent. Je suis convaincu aussi que l’arrivée de la Gauche au pouvoir et surtout ceux du groupe des Insoumis causera sur le plan économique un tort considérable à la France car leur philosophie dans ce domaine est toujours la même : faire payer les riches et donner de nouveaux avantages financiers aux travailleurs et aux plus démunis. L’aile radicale de la France Insoumise, alliée aux syndicats des services publiques, seront à l’œuvre rapidement avec de fortes probabilités de grèves entachées de violence.
Je suis aussi inquiet pour l’avenir de l’Europe qui sera de plus en plus contestée dans ses différentes politiques concernant l’immigration, l’agriculture ou la politique internationale et qui verra le rôle de la France se réduire. Le rayonnement de la France sur le plan international pourra difficilement se poursuivre compte-tenu de son appauvrissement économique. Enfin, j’appréhende l’avenir de la Nouvelle Calédonie, territoire que j’ai visité et que j’ai beaucoup aimé et qui pourrait sombrer dans l’anarchie et éventuellement quitter la France.
Pierre Bourque, le 11 juillet 2024