Dernier plongeon départ…
De simples photos dans un album oublié de longues années et qui font remonter des souvenirs intenses, témoins de jeunesse.
- le Montfleury, bassin de 33 mètres, 1963, Cannes -
Mon regard faisait le tour de la scène. Les grands pins parasols commençaient à prendre une teinte sombre pendant qu’un employé de la piscine rangeait avec application les chaises longues. Nous étions en septembre. Pour nous, c’était la fin de la saison des compétitions de natation. Enveloppés dans nos peignoirs de bain, Pierre et moi attendions que les dernières lumières du jour disparaissent pour conclure par un rituel que nous avions instauré. Un aller retour rapide dans notre nage de prédilection : le papillon dauphin pour lui, la nage libre, autrement dit le crawl, pour moi.
Nous n’avons échangé que quelques mots pour nous encourager. Chacun semblait perdu dans ses pensées. C’était l’heure du bilan. Il y avait eu le plaisir de s’entraîner avec les copains, les flirts avec les filles, les jeux, les éclaboussures, les résultats répondant plus ou moins à nos attentes, les déceptions aussi. Il y avait ces moment intenses où nous nous élancions dans le bassin avec l’espoir d’une performance.
La noirceur fut bientôt maîtresse du décor. Nous n’avions aucune hâte à effectuer ce dernier plongeon. Nous attendions que la surface désormais opaque de la piscine s’illumine, faisant surgir d’un ciel et d’une terre d’encre bleu foncé, un écrin d’un autre bleu si clair et transparent que le bassin semblait vidé de son eau.
Je quittais mon peignoir refaisant les gestes qui précédaient le départ d’une course. Le rituel des étirements, des rotations d’épaules et de bras, des sautillements sur place, des grandes respirations, de ces encouragements qu’on se prodigue à soi-même. Profite au maximum de la coulée, baisse bien la tête, joins les mains, allonge-toi, cherche la glisse, ne respire pas sur les premiers mètres… Je devenais mon propre spectateur.
Je montais sur le plot de départ, mes orteils accrochés sur l’angle vif, mon buste penché jusqu’à toucher mes cuisses, à la limite du déséquilibre, toutes les fibres de mon corps en attente du signal libérateur à venir.
Cannes, piscine Montfleury, 1963