Le Musée Bonnard : quand un petit musée
devient un grand...
On l’a dit, on le redira, le Musée Bonnard, sis au Cannet, est une réussite. Malgré sa taille modeste, il en impose de plus en plus grâce à son architecture qui fait le lien entre passé et présent, dans des salles adaptées et confortables qui mettent en valeur les œuvres présentées à travers une muséographie bien pensée. Mais, c’est avant tout par la qualité des expositions qu’il accueille depuis sa création en 2011 qu’il se distingue. La dernière exposition, « Les Belles Endormies », confirme la tendance et la sublime même.
Félix Vallotton
Femme étendue au bord de l’eau, 1921
Musée d'art moderne et contemporain, Strasbourg
© Adagp, Paris 2014
À commencer par l’affiche de l’exposition qui, en d’autres temps et d’autres lieux, eut créé la polémique. Quoi, une femme nue affichée aux yeux de tous ! Car la femme alanguie et surprise par le peintre, oubliant qu’elle est modèle ou muse, en devient plus désirable, plus vraie, plus tendre. Autre illustration... osée du thème de l’exposition, « L’indolente » de Pierre Bonnard (photo ci-dessous). Cette huile peinte par le maître en 1899, très peu visible du vivant de l’artiste puisque dans des collections privées, fait partie depuis 1947 du patrimoine national. Moins médiatisée que « L’origine du monde » de Courbet, cette Belle endormie reflète bien elle aussi cette atmosphère fin de siècle sombre et passionnelle... Il y a un même abandon du corps, une même invitation à une possession qui suit ou précède cet instant. Quant à la mystérieuse fumée de cigarette, elle révèle la présence d’un voyeur ou d’un amant, du peintre très certainement.
Mais toutes ces femmes surprises dans des poses incertaines, des poses à l’antithèse de la pose, qu’elles soient maîtresses, épouses, sœurs, modèles, ne sont pas toutes déshabillées, toutes dans le désir ordinaire. Ainsi la « Femme endormie » de Pierre Bonnard, pudique dans l’innocence de l’instant, comme « La muse endormie » de Brancusi d’un délicieux purisme salvateur ou « La belle aux bois d’automne » de Maurice Denis.
Pierre Bonnard
Femme assoupie sur un lit ou L'Indolente
© Adagp, Paris 2014
© RMN Grand Palais (Musée d’Orsay) / S. Maréchalle
Matisse, Henri Lebasque, Odilon Rodon, Aristide Maillol, Van Dongen, Renoir Manguin, Vallotton, Vuillard, Picasso et même Gauguin... y vont de leur interprétation. Des toiles fortes, des gravures, des sculptures, des dessins, qui nous donnent une nouvelle fois la preuve de leur fascination pour la femme, pour le mystère qu’elle détient, pour cet espoir de la comprendre à travers le regard posé sur elle, sachant pour l’avoir expérimenté que le désir de posséder leur corps ne les rassasiera pas.
En s’attachant à saisir le fugitif, ces artistes nous font un incroyable cadeau. Cette exposition, déjà riche par la liste impressionnante de ses hôtes, nous livre des moments de pure intimité. Elle nous laisse pantois, interrogatif aussi, face à nos désirs avoués et inavoués, face à notre étonnement devant l’abandon d’un corps, d’un visage qui retient à lui seul la beauté possédée par chaque être surpris dans un instant... d’oubli.
Des collectionneurs généreux, des Musées convaincus (par l’infatigable conservatrice du musée, Véronique Serrano) de l’intérêt de partager leurs trésors, ont permis de réunir une cinquantaine d’œuvres majeures. Décidément ce musée intimiste se prête merveilleusement au plaisir de la rencontre entre l’acteur et le spectateur. Qui a dit : qui sait voir est déjà un artiste ?
Pierre Bonnard
Femme endormie, vers 1928
collection particulière © Adagp, Paris 2014
© Christie’s images / The Bridgeman Art Library
« Les Belles Endormies » jusqu’au 2 novembre 2014