Lyon. Il est libre Max…

Catégorie Les Arts au soleil

Explorateur de l’espace, Mac Charvolen s’installe au gré du temps... intérieur. Pour le critique d’art Yves Michaud « son œuvre vient de loin avec une cohérence et une authenticité rares. » Extraits :



… Comme ses compagnons de INterVENTION, comme ses amis du Groupe 70, comme les gens de Supports/Surfaces, il a commencé dès le tournant des années 1970 à Nice en critiquant le tableau comme espace de représentation – représentation du monde extérieur ou représentation expressive de soi. Il s’agissait de mettre en évidence, dans une ascèse critique, les composants d'un tableau, d’en inventorier les matériaux, d’en analyser les conditions de présentation et de réception dans l’espace (la galerie, le musée, le logement du collectionneur).

À la fin des années 1970, Charvolen est passé à l’analyse d’un autre espace, l’espace architectural, en collant sur une portion de bâti des morceaux de tissu collés ensemble de manière à suivre les plans, arêtes et découpes du site – les marches d’un escalier, les voussoirs d’une voûte, les rebords d’un plafond, etc. Il en marquait les plans et composants en utilisant des couleurs différentes apparemment sans souci de peinture. Il procédait par la suite à l’arrachage de l’ensemble en veillant à ce que la pièce vienne d’un seul tenant. Elle serait ensuite mise à plat, aplanie ou aplatie pour être montrée au mur. Voilà pour la démarche. Il n’en a pas changé jusqu’à aujourd’hui – donc de 1979 aux années 2020, soit pendant plus de quarante ans –, avec une obstination et une rigueur qui font penser à celles de Viallat dans l’usage de son empreinte fève, proliférant à l’infini sur tous les supports imaginables.

Alors qu’il travaillait à partir de bâtis architecturaux intérieurs ou extérieurs aux dimensions importantes, une commande en juillet 2009 pour Avignon le conduisit à réaliser rapidement dix-sept pièces dispersées in situ dans la ville. Le résultat fut un ensemble de peintures de dimensions réduites, au moins par rapport aux pièces antérieures, prélevant un peu partout des fragments de ville, de vie et d’espace. Les formats sont restés étranges et biscornus, mais ils sont beaucoup moins écartelés, dispersés, ramifiés et se rapprochent du tableau.

Dans le même temps, il s’est produit une joyeuse libération de la couleur : verts tendres, roses et bleus matissiens, jaunes ensoleillés ou embrumés, rouges dans toutes les variantes, même cardinalices – avec d’épais contours noirs qui font se tenir solidement les surfaces. Cette fois, la référence à des peintures n’est ni nostalgique, ni anachronique, ni vieillotte, mais heureuse et libre. Depuis, Charvolen a poursuivi sur le chemin de ces « fragments » ou « détails » de bâti. La démarche est restée fidèle à elle-même, y compris dans les concepts du Groupe 70 – mais la peinture est libérée et joyeuse. L’austère Charvolen est et n’est plus le même. J’ai parlé jusqu’ici de peinture sans m’attarder sur les couleurs.

J’ai été de plus en plus frappé au fil des années par la beauté des pièces de Charvolen. L’inventivité « à l’aveugle » de ses compositions, leurs découpes surprenantes, leurs couleurs délicates ou qui se choquent, la trace à peine lisible d’espaces qui ont été habités et traversés, tout ceci contribue à produire une atmosphère étrange où se conjuguent frontalité et immersion….

…. Quand on ne voit rien, qu’est-ce qu’on voit ? s’interroge aujourd’hui Charvolen. La réponse est : la fragilité resplendissante de la beauté comme surprise. Charvolen n’est pas fantasque à la Pagès, ironiste à la Saytour, primitiviste à la Viallat, minimaliste à la Pincemin, anarchiste à la Dolla. Il suit impavidement une logique, d’abord de déconstruction, puis de construction ou reconstruction de l’espace de la représentation. S’il y a de l’ironie et du fantasque, c’est évidemment « à l’insu de son plein gré », car il faut avoir le bon sens de remarquer que pour un « constructeur » s’inspirant de Léger, il aboutit à des pièces quand même fort étranges, parfois échevelées, parfois éclatées, parfois rayonnantes, parfois au contraire sagement organisées. En d’autres termes, la raison a bon dos, ou plutôt, elle peut jouer des drôles de tours. On pourrait penser à ce propos aux tours que jouent en littérature les pratiques oulipiennes aux auteurs : rien de plus sérieux et réglé, et rien de plus délirant non plus. Il y a parfois chez Charvolen un côté Buster Keaton : à force de sérieux, il passe les limites.

Yves Michaud

Max Charvolen
Debords 
21 rue Longue 69001 Lyon
15 juin - 29 juillet