Algérie. Devoir de mémoire...

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Catégorie Pieds dans le plat

Un professeur d’Économie et de Gestion a demandé à Jocelyne Mas, écrivain ayant vécu en Algérie, alors Française, d’intervenir sur le thème et de commenter les devoirs des élèves : « Rencontre entre les élèves et la Mémoire. Les appelés en Algérie ». Voici sa réponse :




« Oui ces textes sont très beaux. Mais ils ne parlent que des soldats du contingent venus de France en Algérie. Ils n'évoquent pas les drames de tous les français d'Algérie qu'on a appelé ‘Pieds-Noirs’ à leur arrivée en France. Ils n'évoquent pas le travail de ces pionniers venus sur cette terre par autorisation du gouvernement français. Ils venaient d'Alsace pour de pas devenir allemands (c'est le cas de mes arrières arrières-grands-parents. Ils sont partis en 1870 et ont créé avec d'autres pionniers le village de Lavarande, près de Constantine. Ils venaient d'Italie, d'Espagne ou de Sicile pour échapper à la misère. On leur avait dit : vous aurez des terres, vous pourrez faire vivre vos enfants. Ils se sont battus contre les pillards, les maladies, les fièvres, contre cette terre aride et caillouteuse pour faire ce de pays la Californie de la France (Terre qui a nourri le peuple de France pendant la guerre). 

Ces textes n'évoquent pas les années de terreur qu'on vécu ces pionniers, quand le F.L.N. a commencé ses exactions, les attentats dans les villes, dans les écoles, dans les cinémas, les brasseries, la peur, le climat d'insécurité. Oui, les jeunes du contingent sont venus nous défendre. Et beaucoup sont morts. Mais un peuple qui n'a d'autre choix que ‘la valise ou le cercueil’ ( grandes affiches placardées partout dans les villes et les villages), un peuple qui se sent trahi par le gouvernement français n'a d'autre choix que de partir. Et c'est un million de pieds-noirs et trois cent mille harkis (soldats musulmans qui avaient choisi la France) qui partent dans le mois de juin 1962. Ils laissent tout derrière eux, leurs morts, leur terre, leur maison, leurs meubles, leur village, leur école, leurs amis... en n’emportant que 2 valises ! Peut-on mettre toute une vie dans une valise ? 

Cela fait 60 ans et je ressens encore en moi cette peine immense de partir sans savoir où aller. Et mon chien, mon fidèle berger allemand de 8 ans laissé sur le quai du port d'Alger (vous ne montez pas avec le chien, il est trop trop gros). Cet insupportable ordre est écrit au fer rouge dans mon cœur. Oui, il faut rendre hommage aux jeunes du contingent mais il ne faut pas oublier les souffrances de ce peuple qui a été accueilli à Marseille par des banderoles ‘Les pieds-noirs à la mer !’ tandis que le maire et ministre déclarait : Que les pieds-noir aillent se réadapter ailleurs !

Une communauté qui est toujours en marge et moins considérée que les étrangers (qui viennent en masse dans notre pays, non par amour, mais pour profiter du système) car eux n'ont eu droit qu'à un verre de grenadine quand, hagards et désespérés, ils ont posé le pied sur le sol de leur patrie, qu'ils voyaient pour beaucoup pour la première fois. Mais eux étaient Français. Les drapeaux français étaient sur chaque balcon, chaque fenêtre, chaque maison. Bon ! je vais arrêter là car je pourrais remplir des pages et des pages ou alors réécrire mes livres ! »