- mémoire ressuscitée, antonyme (c) PCA -

« Un jour de pluie,
Au fond du grenier,
Une valise couverte de suie,
J’ai trouvée…
Tout un monde endormi.
Toute une vie enfermée
Gardant ses secrets. »

Avec ma mère nous avons trié les affaires de ma grand-mère. J'avais le cœur gros de voir tous ses vêtements, ses robes, ses tabliers. Je revoyais ma petite grand-mère dans son jardin avec un tablier fait de chutes de tissu - alors, rien ne se perdait - aux grandes poches remplies de pâtes de coing qu'elle faisait comme personne et qu'elle distribuait aux enfants du quartier, sans distinction.  Nous avons trouvé des documents, la statue de Saint-Antoine de Padoue qui a toujours veillé sur la famille, des photos de Baraki, de mon frère, de moi. 

J'avais le cœur gros, prête à éclater en larmes. Ma mère me tend une valise et me dit : « Tiens ! c'est pour toi, il y a ton prénom écrit dessus ». Intriguée j'ouvre cette vieille valise et là mon cœur s'arrête, entortillés dans un grand tissu mes Prix : Prix de Rédaction classe de 3e 1960, Prix d'Excellence 1957, École Fontaine Bleue, Prix d'Excellence classe de 6e 1958... Là, mes larmes ont coulé, abondantes. 

Je pensais : pourquoi ? Pourquoi ma grand-mère avait-elle emporté mes livres d'école plutôt que ses propres affaires ? Pourquoi, lorsqu'on ne peut emporter qu'une seule valise ? Quand on quitte sa maison pour toujours, quand on sait qu'on ne reviendra pas ! Pourquoi a-t-elle privilégié ces livres ? Il sont gros, ils pèsent lourd. Ma mère me prend dans ses bras et murmure « Elle était si fière ! » et alors, je me souviens que ma grand-mère, orpheline dès l'âge de 2 ans, recueillie par une tante, a travaillé toute sa vie pour aider à la ferme. A l'époque, seuls les garçons allaient à l'école et ma grand-mère, c'est vrai, ne savait ni lire ni écrire mais elle savait compter ! Quand son grand frère est devenu Maître d’École, elle était aussi fière que s'il lui avait dit qu'il était Président de la République. 

Voilà pourquoi elle a emporté mes livres. Parce qu'elle était fière de moi ! « Je t'aime tant Mémé ! » Je sens encore sur ses joues si douces ce parfum de rose et de cannelle mêlé et je me souviens de ses derniers instants où elle a murmuré à mon oreille : « Tu l'écriras Notre Histoire, dis-moi que tu l'écriras ? ». Oui Mémé, je tiens ma promesse, j'écris Notre Histoire ! 

Jocelyne Mas