Bou-Saâda. L’apprentissage du désert…

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(suite du récit de Joselyne Mas : La cité du bonheur)



- photo (c) Florence Devouard - 


Le lendemain, petit déjeuner au lait de chèvre, semoule et dattes. Ensuite, nous partons, dans le brouillard irisé du matin, pour une promenade à dos de chameaux, ils me paraissent immenses et redoutables avec leurs grandes dents carrées. Ali les fait s’agenouiller et nous grimpons sur leur dos ; nous ne sommes pas très rassurés. Ils avancent : Oh ! là, là ! j’ai le mal de mer tant ils oscillent, mais au bout d’un moment cela va mieux, il suffit de se balancer à leur rythme. Nous avions emporté des « guerbas » : outres en peau de chèvre retournée, contenant de l’eau fraîche pour nous désaltérer. Nous parcourons une dizaine de kilomètres, l’immensité du désert, les dunes chatoyantes sous le soleil, le sable de couleur ocre jaune brille par endroits, nous en avons mal aux yeux. Des dunes de sable blond, vierge de tout passage, s’élève une mélopée, une sorte de sifflement magique : le chant du désert ! Le bruit du vent dans les dunes, le sable qui roule d’une dune à une autre, c’est une musique grisante.

Le chant des dunes, c'est un phénomène, inquiétant pour certains, merveilleux pour d'autres : « les sables qui chantent parfois remplissent l'air avec les sons de toutes sortes d'instruments de musique, et aussi le bruit des tambours et du choc des armes. » L'avalanche des grains de sable produit un chant. Mais pour les Bédouins, ce bruit trahit la présence des djinns, esprits malins qui rodent dans le désert. 

Nous croisons une caravane de Touaregs, vêtus de grandes djellabas bleues, on ne voit que leurs yeux, leurs chameaux sont lourdement chargés. Les Touaregs sont des hommes très fiers. Nous revenons vers l’oasis, qui ressemble de loin à une mer vert sombre, les palmiers dattiers bruissent dans le vent, des grappes de dattes pendent vers le sol. Les Deglet Nour, reconnaissables à leur couleur dorée et transparente, sont un vrai délice. Les lauriers roses, rouges ou blancs, croulent sous les fleurs, l’air est chaud et parfumé, les chameaux se dirigent tout seuls vers le puits où nous attend une eau pas très claire mais fraîche. Mon frère et les garçons d’Ali poussent de grands cris pour écarter les chameaux : « Balek ! Balek ! » va t’en. Ali les entrave ; et enfin nous pouvons approcher sans crainte. Un groupe de cavaliers avec leurs grands burnous blancs gonflés par le vent, approchent dans un nuage de poussière. Leurs chevaux arabes sont magnifiques. Ils font boire leurs montures et disparaissent. Harmonie de l’homme, du cheval et de la nature. Une caravane de la tribu nomade des Guebli s’arrête près du puits. Ce sont des casseurs de pierres, leurs femmes sont vêtues de noir, tatouées sur le front et portent de gros bijoux clinquants aux chevilles et aux bras.

Le désert est un lieu de mystères. Il y a des pierres qui se déplacent dans le désert. Ces roches pesant jusqu'à des centaines de kilo se déplacent sur des kilomètres. Elles sont parfois deux ou trois à aller dans le même sens à une vitesse vertigineuse, puis elles changent de direction chacune prenant une direction différente. Il y a aussi des colonnes de lumière, elles apparaissent comme des piliers lumineux verticaux, s'élevant vers le ciel. Et surtout le fabuleux chant des dunes. Quand vous êtes allé une fois dans le désert, vous êtes envoûté et vous ne rêvez que d'une chose, c'est d'y retourner !

Nous croisons une caravane, ici les chameaux sont surnommés les vaisseaux du désert. Les nomades, hommes de foi, s’en remettent à Dieu ou Allah, pour les guider. Leur grand ennemi est le vent, le Méhariste sait qu’il brouille les repères et efface les traces, c’est pour cela qu’il se fie aux étoiles, elles paraissent si proches, leur éclat est incomparable. Ce soir, disait mon père, nous dormons à « l’hôtel des mille étoiles ». Nous distinguons la Voie Lactée, Les Pléiades, Orion, la Grande Ourse. La nuit se peuple de lueurs phosphorescentes. Les Touaregs, après la prière du soir, face à l’Est, nous invitent à la cérémonie du thé, parfumé de fleurs de citronniers, cérémonie qui peut durer des heures dans le désert.

Marcher dans le désert incite à la méditation. La concentration permet des perceptions extrêmes. S’asseoir sur le sable, fixer une pierre, faire le vide en soi jusqu’à voir bouger la pierre. En revenant vers la palmeraie, dans la pâle lumière de l’aube, on aperçoit quelques acacias nommé Amour, par les Maures. Des jardins s’étalent à l’ombre des tamaris. L’eau est puisée dans des nappes peu profondes, c’est la technique ancestrale du chadouf, ce long balancier portant un contre poids. Suspendue à une branche basse d’un arbre fruitier, une rose de Jéricho, mystérieuse plante qui se contracte en boule par temps sec et s’étale à l’humidité. C’est aussi dans cette région sauvage et aride d’une grande beauté que pousse l’iris noir, seule fleur capable de garder de l’eau pendant neuf mois.

Hélas, c’est l’heure du départ. Tout le monde s’embrasse, et nous montons dans la voiture. Soudain l’aîné des fils d’Ali part en courant et nous crie de l’attendre, il revient tout essoufflé et nous tend à mon frère et à moi, deux magnifiques roses des sables ; ce sont des cristaux de gypse d’une couleur jaune-rosée, elles sont vraiment très belles. Au loin, le ciel s’obscurcit, le sable tourbillonne, le terrible vent des sables, le Chergui, arrive à toute vitesse, il nous faut partir...