Aix-en-Provence. Alphonse Mucha en majesté...
Parmi les différentes réactions à l’art académique au XIXe siècle, il y a eu certainement l’Art Nouveau. Ce courant artistique, fortement axé sur l’ornementation, les lignes courbes et l’exaltation de la nature, prit son essor vers 1880. Loin d’être circonscrit seulement à la France, il embrassa toute l’Europe avec des mouvements comme la Sécession Viennoise, le Jugendstil en Allemagne ou le Modern Style en Angleterre. Son projet était ambitieux: car il ne visait pas seulement à révolutionner la peinture, mais aussi les objets et le cadre de vie urbain, comme s’y employa, notamment, l’architecte Hector Guimard.
Dans cette effervescence artistique, Alphonse Mucha s’imposa rapidement comme une figure référentielle de l’affiche et de ses dérivés commerciaux. Né en 1860 à Ivancice - dans l’actuelle Tchéquie -, il se passionna vite pour l’illustration et vint compléter ses études à Paris en 1887. La capitale française était redevenue le phare de la vie artistique internationale, en particulier dans le théâtre où triomphait Sarah Bernhardt. Ce fut sa rencontre avec la diva et la commande de l’affiche de Gismonda qui allait lancer la carrière exceptionnelle de Mucha : « Vous m’avez rendue immortelle », lui déclarera-t-elle en 1894.
La très riche exposition que consacre présentement l’hôtel de Caumont à ce génie de l’affiche - près de cent vingt œuvres sorties de la fondation Mucha à Prague - permet de suivre, section après section, l’évolution de son travail sur la durée de son existence. Ce sont, bien sûr, ses magnifiques affiches mais aussi ses dessins et ses photographies qui servaient d’études préparatoires à ses grandes lithographies. Ce sont ces moyens formats où il exalte la grâce féminine avec des tons pastellisés et des arabesques voluptueuses. Avec lui les femmes deviennent des allégories enchanteresses, qu’elles représentent un moment de la journée (Éveil du matin, Rêverie du soir, une fleur (Rose, Iris, Œillet ) ou un art (danse, musique, poésie), à l’instar des muses antiques. Ce sont aussi les bijoux, les parfums, voire le chocolat et les boites de biscuits auxquels il apposa sa griffe, ouvrant ainsi la voie au design publicitaire. Mucha, en cette extrême fin du XIXe siècle est réclamé sur tous les fronts.
En 1900, lors de l’exposition universelle de Paris, il décore le pavillon de la Bohème-Moravie. A cette occasion, il y recevra la médaille d’argent, avant d’être fait chevalier de la Légion d’honneur. De 1906 à 1910, il séjourne aux États-Unis avec son épouse Maruska, sans d’ailleurs y obtenir la reconnaissance espérée pour sa peinture. C’est là qu’il va concevoir l’ambitieuse Épopée slave, suite de vingt tableaux retraçant les grandes heures de la nation tchèque, comme le montre ici une vidéo. Peu à peu son travail s’éloigne des sujets grâcieux qui ont fait sa renommée, se charge de mysticisme et de patriotisme. Mucha, qui se passionne maintenant pour le panslavisme, veut mettre son art au service de la jeune république tchèque : il concevra ainsi les effigies de ses timbres-poste et de ses billets de banque.
Les dernières salles de l’exposition évoquent, avec de nombreux tableaux, ce retour au pays natal. Et l’on rapprochera sans doute l’allégresse de son Chant de Bohème de la tristesse qui se dégage d’une aquarelle comme La Russie doit se redresser.
Mucha meurt en 1939, après avoir été arrêté puis relâché par les nazis, nouveaux maîtres de son pays. Un 14 juillet, date on ne peut plus symbolique pour cet artiste qui avait trouvé la consécration en France. Mais ne disait-il pas que « l’art doit rapprocher les peuples » ? Une pensée à méditer en cette époque où les divisions culturelles et les guerres menacent dangereusement le monde.
- Du 17 novembre au 24 mars 2024. Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph Cabassol, 13100 Aix-en-Provence. Renseignements sur www.caumont-centredart.com
Jacques Lucchesi