Lors de l'attentat de New York, Bernard Brochand, le maire de Cannes y était : il nous raconte.

- à l'approche de ce triste anniversaire, nous mettons en ligne cette interview publiée dans les colonnes de Paris Côte d'Azur ( n° 895 ) le 1er octobre 2001 -

- Nous sommes le mardi 11 septembre 2001. Monsieur le maire, vous êtes à New York dans les étages supérieurs d’un gratte-ciel, à quelques coins de rue des tours jumelles du World Trade Center…

- Il est presque 9 heures, heure locale. J’ai rejoint dans les locaux de la DDB, celui qui doit me succéder à la tête de la compagnie. Nous devons prendre les dernières dispositions pour le Conseil d’administration qui va se dérouler d’ici peu. Son téléphone sonne. C’est sa femme. Un avion vient de percuter une des tours de la World Trade Center. Le frère de mon ami vient de l’appeler, il se trouve dans la deuxième tour, au 82ème étage. La tour est évacuée. Il commence à descendre, dans le noir. Ça va peut-être prendre une heure, prévient-il.

Un poste de télévision se trouve dans la pièce. Je l’allume et nous regardons, effarés, les premières images. Nous ne savons pas encore qu’il s’agit d’un attentat. Nous voyons en direct l’avion s’approcher et percuter la seconde tour. Le doute n’est plus permis, nous comprenons. Nous apprenons très vite l’attentat sur le Pentagone. Dans le bureau c’est l’attente et l’angoisse. Le téléphone sonne. C’est le frère : tout va bien, je suis dans la rue. Je suis vivant. Puis :" Mon Dieu, l’immeuble s’effondre. Je cours." La communication est soudain coupée. Sur l’écran de la télévision, une image s’impose et nous avons la confirmation de la chute d’une des deux tours. Les minutes s’égrainent, l’émotion est intense. Il est difficile de croire ces images. Un autre avion pirate s’est écrasé prés de Pittsburg. Bientôt la deuxième tour est à terre.

Le Conseil d’administration est au complet, dix étrangers et dix américains dont cinq new-yorkais. Nous sommes tous ébranlés, étourdis. Mais nous nous ressaisissons. Responsables d’une société de publicité, avec 15 000 employés dispersés aux quatre coins du monde, que pouvons-nous faire ? Pouvons-nous aider, quels services pouvons-nous rendre ? Chacun s’exprime dans le calme. Une bonne nouvelle arrive, ce sera la seule. Un hôpital vient d’appeler. Le frère, blessé, est hors de danger.

Il est 11 heures. Le maire de New York, Rudolph W. Giuliani, prononce devant ses concitoyens un discours mesuré, plein de sagesse. Dans l’adversité la plus totale, la ville s’organise. Il s’agit de faire face dans la dignité et avec efficacité. Les Américains savent faire et le prouvent. Tous s’y mettent et très vite, le maire, le gouverneur de l’Etat, les médias. Une quinzaine de chaînes de télévision va diffuser en direct 24 heures sur 24 des nouvelles, des témoignages, des conseils pratiques. Tous les leaders politiques s’expriment et l’unanimité se fait. Tous soutiennent le Président Georges W. Bush junior. Rien que pour New York, 20 milliards de dollars sont immédiatement débloqués.

Dans notre bureau de la 49 ème rue et Madison, le sentiment d’inquiétude est palpable. Y aura-t-il une deuxième vague d’avions suicides ? Et c’est dans cette crainte certainement que, dès onze heures, la presqu’île de Manhattan est bouclée par les autorités. On ne peut ni rentrer ni sortir. Je suis prisonnier comme tant d’autres dans cette ville martyrisée. Je vais y rester jusqu’à samedi. Jusque là il faudra s’organiser tant bien que mal. Mais l’inconfort est le moindre des maux. Personne ne dort beaucoup. On laisse ouvert la télévision en permanence, on zappe d’une station à l’autre. On a du mal à croire que ce n’est pas un mauvais film catastrophe qui passe en boucle. On écoute les communications téléphoniques des gens qui ont eu le temps d’appeler leurs proches, avant de mourir dans les tours, écrasés par elles ou prisonniers, quelques étages plus bas, sous les décombres. De ceux qui ont tenté le tout pour le tout dans l’avion qui s’est écrasé près de Pittsburgh. Grâce à eux il a manqué sa cible. On applaudit les pompiers courageux qui se dirigent vers le champ de bataille. Une femme en pleurs ne comprend pas : why do they hate us so much ? Pourquoi nous haïssent-ils autant ? On reconnaît au passage ce chef d’entreprise français qui a perdu 700 de ses employés dans une des tours. On partage avec lui son émoi. Partout une solidarité incroyable se manifeste, tout ça dans le calme, la rigueur, la discipline. Il y a de quoi être impressionné, admiratif. Les valeurs traditionnelles de l’Amérique paraissent intactes, renforcées par l’épreuve !

L’Elysée a envoyé un avion pour préparer la visite du président Chirac, un des premiers chefs d’Etat à réagir. Lorsqu’il retourne à Paris, j’ai la chance, avec une centaine d’autres Français, de pouvoir le prendre. Dimanche matin, à peine arrivé, je m’empresse de téléphoner à Jacques Chirac pour lui faire part de la situation telle que je l’ai vécu. Les Américains ont besoin qu’on leur manifeste de la compassion, tel est mon sentiment. Je cherche un vol pour rejoindre la Côte d’Azur. Dans l’aéroport, une américaine qui a entendu que j’arrivais de New York, se jette dans mes bras, en pleurs : "J’ai perdu mon frère dans une des tours. Aidez-moi à rentrer chez moi !". Finalement je lui trouve un vol au départ d’Amsterdam.

Aujourd’hui nous sommes le 22 septembre. On dit qu’une action de l’Amérique est imminente. Il faut comprendre. Nous ne devons pas accepter l’inacceptable, surtout dans notre esprit. Nous ne devons pas nous habituer à cette barbarie. Aucune justification n’est possible.

Nous devons reconsidérer la notion de sécurité, envisager une nouvelle approche, inventer de nouvelles stratégies, former des hommes. Maire de Cannes, je dois d’ors et déjà prendre en compte cette réalité, prendre des mesures, surtout durant les Congrès. Des dispositions exceptionnelles seront prises dont bien sur nous ne divulguerons pas les détails.

Il va maintenant falloir apprendre à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. En attendant life must go on ! La soudaine promesse prise aujourd’hui par les Israéliens et les Palestiniens de cesser les hostilités est une occasion historique de faire la paix. Le monde commence à se rendre compte que ça ne peut plus continuer comme ça, qu’il est temps de faire la paix !

Ce drame nous a fait mesurer la fragilité de nos sociétés et de nos économies occidentales et capitalistes. Une réflexion s’impose, les chefs d’entreprise, les investisseurs, doivent s’y associer.

Ces événements épouvantables ont eu lieu aux Etats Unis. Instinctivement nous nous sommes alors sentis américains. Ce sentiment existe toujours. God bless America !

- mention : www.pariscotedazur.fr -août 2006 -
- publié la première fois en octobre 2001, voir ci-dessous :