Souvenirs de la Méditérranée,

celle d'en face...

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Catégorie Les paradoxales

Jocelyne Mas témoigne ici avec sensibilité de la vie de colons... ordinaires. Un récit qui pourrait ressembler par bien des anecdotes, à celui que pourrait faire un Niçois, un Cannois ou aussi bien un Marseillais qui aurait vécu à la même époque (les années 50 et 60).

On dit que la mer Méditerranée est une mer très salée. Savez-vous pourquoi ? C'est parce qu'elle a recueilli toutes nos larmes. Les larmes de tout un peuple qui a du s'arracher à sa terre natale. Les larmes de tous ces exilés qui 50 ans après pleurent toujours la perte de leur pays.

Une terre, comme une mère, ne se remplace pas !

Les plages jouent un grand rôle dans notre univers d’enfants. Nous y sommes tous les jours à Moretti ou à Tipaza, à La Madrague ou au Rocher Noir, la mer est couleur turquoise. Il y a aussi des petites criques où l’eau est si claire qu’on y distingue les crabes, les oursins violets, les arapèdes, les petites girelles jaunes, striées de bleu ; les algues vertes dansent au gré des courants.

Sur la mer, miroir d’azur, aux reflets chatoyants, des multitudes de petits bateaux vont et viennent. Des voiliers, les voiles gonflées par le vent filent à toute vitesse. Des pêcheurs rentrent au port avec dans leur barque, des filets où frétillent des poissons de toutes les tailles ; il y a des sars, des ombrines, des pageots, des murènes, des mulets. Sur les quais, attendent les ménagères en échangeant des recettes pour cuisiner tous ces poissons. À les écouter, on a tout à coup faim et on salive en entendant tous les ingrédients qui entrent dans la préparation de ces plats méditerranéens : recettes italiennes, maltaises, espagnoles.

Les plages sont de sable blanc et de gros rochers plats nous servent de sièges. Une eau douce ruisselle des falaises de glaise. Nous y creusons des petits lacs pour mettre nos boissons à rafraîchir.

La mer moutonne et le ressac des vagues en se brisant sur les rochers produit un effet apaisant, par son bruit répétitif. On finit par s’endormir, avec dans nos rêves, toujours la mer qui nous berce. Je nous revois assis en tailleur, sur le sable blanc, mordant à pleines dents une tranche de pastèque, barbouillés jusqu’aux oreilles de jus coloré, et crachant le plus loin possible, ses gros pépins noirs et brillants, en riant aux éclats. Au loin, la ligne d’horizon est courbe. Soudain apparaît la silhouette d’un bateau surgi comme par miracle, alors que l’instant d’avant, il n’y avait rien en vue. Une pastéra (petite barque) vagabonde. Les pêcheurs pratiquent la pêche à la traîne ou à la palangrotte. Mon oncle Robert, nous avait fabriqué une caisse à fond de verre, qui permettait de voir le fond à travers l’eau. Nous pouvions ainsi repérer les coquillages et plonger pour les ramasser.

 L’été, nous allions à Bains-Romains, après la colline ocre de Saint-Eugène, célèbre pour son magnifique marabout. La petite maison que mes parents louaient au bord de l’eau, dans le quartier de l’Évêché, ou Belvédère, avait une grande terrasse en avancée sur la mer d’où mon père pêchait. Je me revois assise près de lui sur le petit muret tiédi, nous discutions pendant des heures, de tout, de questions sérieuses entrecoupées de fous rires. Quelquefois, il nous fallait descendre, car le fil s’était accroché à des rochers. Nous en profitions pour piquer une tête et nous rafraîchir, dans les trous d’eau, c’était à celui qui ramènerait le plus beau coquillage ; nous remontions en prenant soin de ne pas traverser la maison, on passait tout dégoulinant d’eau par la terrasse et nous reprenions notre conversation.

Je nageais très bien, mon professeur Héda Frost Championne du monde, six fois finaliste  des championnats d'Europe, m'entraînait chaque jour au G.L.E A (Groupes Laïques d'Études d'Alger) et mon crawl était plus rapide que celui des adultes. J'adorais nager, loin, très loin, jusqu'à ce que les baigneurs sur les plages paraissent minuscules, ma mère s'inquiétait mais mon père était fier.

Le jour, les cigales cymbalisent, leur chant est assourdissant, pour les faire taire, pas grand-chose ; sauf un coup de lance d’arrosage, mais cela n’a d’effet qu’un bref instant.

 

- Jocelyne Mas et son père André Fougère -        

Quelquefois le sirocco, vent chaud venu du Sud, nous contraint à rester à l’intérieur, fenêtres calfeutrées, et volets baissés. Il pouvait souffler pendant trois jours d’affilé. Dans le jardin pousse un bananier qui donne de petites bananes courtes et bien dodues. Leur chair est rose. Ma mère les préparait en dessert, coupées en rondelles, rissolées au beurre et saupoudrées de sucre, elles étaient ainsi bien caramélisées et c’était un dessert de rois.

 J’avais toujours avec moi une petite boîte attachée par une ficelle, c’était ma boîte aux trésors. Quand nous allions à Mostaganem chez des cousins, à Port-Gueydon, à Surcouf ou à La Pérouse, j’arpentais les plages, admirant le plissé des vagues et au ras de l’eau quand celles-ci brassent les graviers, je ramassais des petits bouts de corail d’un rouge vif, des morceaux de verre poli, des coquillages nacrés qu’on appelait œil de Sainte-Lucie et qui portaient bonheur, d’autres coquillages en forme d’oreilles recouverts d’une nacre bleutée à l’intérieur : des ormeaux, et j’amassais mon trésor. Je me souviens d’une maison à deux étages face à la mer. Nous les enfants, nous dormions sur le balcon sur des matelas posés à même le sol, on s’amusait surtout, mais les joies de la plage, de la pêche, avaient raison de notre fatigue, nous finissions par nous endormir bercés par le doux murmure des vagues. Les adultes assis sur le pas de la porte, sur les marches du perron, ou sur des chaises, discutaient en dégustant une bourha, (alcool de figues qui se boit en apéritif ou en digestif).

Un jour, mes oncles avaient péché un énorme poisson, et ils avaient eu les honneurs de la presse locale. Ils guettaient ce vent du nord, la « bafagne » qui soufflait par rafales, agitait la mer en d’énormes vagues et lui donnait une couleur d’un bleu minéral. Ce jour-là, pas de pêche possible.

Le poisson en Tunisie et en Algérie est un symbole de fertilité, tout comme il fut un signe de reconnaissance des premiers chrétiens, qui signifiait : « croissez et multipliez ».

 

- de gauche à droite : le cousin Fredo (dans le camion), les oncles : Aimé Bertrand, André Fallour, Robert fallour et le grand-père Charles-Antoine Bertrand, devant le cousin « Petit Robert » -

Mon petit frère Jean-Marc, à qui il fallait toujours raconter une histoire avant de s’endormir, me disait : « Raconte-moi la mer, la vie des sirènes ». Et comme je ne me rappelais plus ce que je lui avais déjà raconté, j’inventais : « la petite sirène aux cheveux brillants, surmontés d’une couronne de coquillages, et aux yeux couleur d’azur opalescents prend le petit baleineau, dans ses bras et le berce doucement, tendrement, les étoiles de mer scintillent au fond de l’eau sur le sable doré. Petit baleineau orphelin s’endort. »  Mais je me faisais reprendre vertement : « Non ! C’est pas çà l’histoire des sirènes ! »

Nous allions quelquefois à La Calle, petit village de pêcheurs près de la frontière tunisienne. La Calle a quatre siècles d’existence, c’est la plus ancienne agglomération française d’Afrique du Nord. En 1450, elle porte le nom de « Bastion de France ». C’est une enclave dans le territoire barbaresque. En 1628, avec l’accréditation de Sanson Mapollon, gentilhomme du Roi de France, il prend le nom de La Calle. Il y a une petite église nommée la « Chapelle des Corailleurs » car à La Calle, on y pêche le corail qui est alors très prisé en orfèvrerie

On passait la journée entre sable et eau, plongeant, nageant, pêchant : des sars, des pageots, des ombrines, des murènes quelquefois. Il fallait faire très attention, car même hors de l’eau, elles pouvaient mordre cruellement. Là, roulés par les vagues, aveuglés par l’écume, à moitié étouffés par nos rires, nous finissions par nous laisser tomber sur le sable, étendus, bras en croix, hors d’haleine.

Souvent le soir, nous allions avec mes parents à La Madrague, à Guyotville, lieux tellement prisés des Algérois ; pendant tout le trajet, mon père et ma mère chantaient à tue-tête ; c’est vrai qu’à l’époque les voitures ne possédaient pas encore de poste de radio ! J’entends encore ma mère chanter : « Marinella ! Reste encore dans mes bras » ou bien : « Oh ! Catarineta bella, tchi, tchi…Si j’avais su dans ce temps-là, ah ! ah ! Oh ! ma belle Catérineta...»                   

Quelquefois, le soir avec mes parents, leurs amis, mon frère, nous descendions jusqu’à la Pêcherie par le Boulevard du Front de Mer avec ses beaux immeubles, l’hôtel Aletti. Au bout de la vieille darse des corsaires s’élève l’ancien palais de l’Amirauté, agrandi et rénové, avec ses grandes arcades. Les constructions turques de la jetée Kleir-Eddine, la tour du phare, sur l’ancien pênon espagnol domine l’ensemble. On s’arrêtait pour déguster des petits poissons grillés, toutes sortes de kémia : olives, fèves au kemoun, tramousses, variantes, glibettes etc. tout en savourant l’anisette, subtile et incontournable breuvage, ou le rosé bien frais de la Trappe. L’ambiance était chaleureuse, le rire partout. Le soir tombe sur la ville, les oiseaux se taisent, on pouvait rester des heures à admirer les splendides couchers de soleil sur la mer. Le soleil en disparaissant teintait le ciel d’une couleur jaune orangé, puis les zébrures rouges apparaissaient et le ciel peu à peu se teintait de violet. La mer se voilait d’or scintillant.

Nous étions heureux sans le savoir.

  • extrait de : Chez nous en Algérie, la Méditerranée était au nord.