La protection de l’anguille. Dans le sens inverse...

En dépit des recommandations scientifiques qui préconisent un arrêt total des prélèvements, le gouvernement maintient des quotas de pêche pour cette espèce de poisson emblématique menacée de disparition.


- Édouard Manet, Rouget et Anguille -

L’Anguille européenne est classée en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature depuis 2008 au même titre que le Vison d'Europe, le Rhinocéros de Java ou l’Orang-outan. Ses populations se sont effondrées d’environ 90% en à peine un demi-siècle, en raison de la dégradation de ses habitats naturels et de la pêche. Aucune méthode de reproduction artificielle n’existe pour envisager l’élevage industriel de cette espèce amphihaline, partagée entre rivières et océan. En réponse, le règlement européen du 18 septembre 2007 a institué des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes en contraignant les États membres à élaborer un Plan de gestion de l’anguille avec des mesures adaptées aux conditions locales.

Située au cœur de son aire de répartition, la France a une responsabilité considérable dans la protection de l’anguille. Mis en place en 2010, le Plan français prévoyait la réduction et l’encadrement de la pêche professionnelle ainsi qu’une forte limitation de la pratique récréative. Après quinze ans de mise en œuvre, les objectifs sont loin d’être atteints, démontrant la nécessité de mesures de gestion plus strictes pour assurer le rétablissement de l’espèce. Les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer préconisent, depuis 2022, l’arrêt de toute pêche à l’anguille, à tous les stades de son développement.

Le poisson est en effet pêché à trois étapes de son cycle de vie : civelle (alevin de moins de 12 cm) ; anguille jaune (croissance en eau douce) ; anguille argentée (reproduction en eau de mer). Avec plus de 90% des captures mondiales, la France est l’un des seuls pays autorisant la pêche à la civelle, y compris à l’intérieur d’espaces protégés comme la Réserve naturelle nationale de la Baie de l’Aiguillon, cogérée par la LPO.

Les pêcheurs professionnels sont les seuls à pouvoir pêcher les civelles. Cette pratique légale peut toutefois servir de paravent à un trafic international extrêmement lucratif, où le prix au kilo peut atteindre 6 000 €.  Leur commerce en dehors de l’UE est pourtant interdit par la convention CITES depuis 2010.

Un projet d’arrêté ministériel actuellement soumis à la consultation publique prévoit de réduire légèrement le quota actuel de pêche à la civelle. Ce dernier passerait de 65 tonnes à 55 tonnes pour la saison 2025-2026 puis à 43 tonnes pour la saison 2026-2027, réparties entre les marins-pêcheurs (87%) et les pêcheurs professionnels en eau douce (13%) ; 60% des captures seront destinées à des opérations de repeuplement, réalisées à plus de 90% hors de France et jugées inefficientes.

Ces quotas demeurent trop élevés pour permettre un rétablissement de l’espèce, dont la situation critique exige des mesures drastiques. Par ailleurs, la commission européenne vient de demander aux états membres de mieux protéger les aires marines protégées (Natura 2000) face aux activités de pêche. Elle demande l’application rigoureuse des directives Oiseaux et habitat afin d’éviter la perturbation des espèces sur les sites. 

Aucune raison, on le voit d’être optimiste quant à l’avenir de l’anguille...