Grasse. Dialogue improbable entre hommes et femmes en Afghanistan...
Dans un dialogue rendu possible par le truchement du dispositif scénographique, les hommes afghans peuvent ici offrir des fleurs aux femmes afghanes dévoilées sans que nul soit inquiété. L’exposition grassoise fabule un monde imaginaire, un rêve où toutes les fleurs sont permises, ouvertes et libres, un monde où les hommes ne portent plus d’armes, où les femmes chantent et dansent.

- Fatima Hossaini -
L’Afghanistan a de multiples visages, celui que montre l’exposition est parmi les plus beaux, chargé de couleurs, de joies et d’espoir. Cet « autre » visage de l’Afghanistan est celui de deux projets photographiques regardant dans la même direction, portés par une même envie et se confondant harmonieusement en dépit de leurs différences. L’extrême fragilité des fleurs, tant glorifiée jadis par les poètes et les artistes persans, leur beauté éphémère et fugace, nos deux photographes nous rappellent qu’elle existe et qu’elle ne demande qu’à être cultivée.
Afghane de naissance, Fatimah Hossaini a photographié des femmes débarrassées pour l’occasion de leur burqa, mais revêtues de leurs tenues traditionnelles. À travers l’habillement, c’est un hommage rendu aux multiples ethnies qui peuplent son pays : Pashtounes, Hazaras, Ouzbeks... ainsi qu’à la somptuosité d’un artisanat. Sensible aux couleurs chatoyantes et aux motifs brodés de ces véritables « bijoux textiles », la photographe les met en scène pour mieux révéler la puissance et la grâce de ses héroïnes. Son travail intitulé « La beauté au cœur de la guerre » dit la splendeur cachée de ces femmes que les guerres incessantes avaient comme effacées. Formée en Iran (où ses parents vivent toujours), elle étudie la photographie à l’Université de Téhéran et, contre l’avis de sa mère (sa famille appartient à l’ethnie Hazara persécutée par les talibans), retourne vivre à Kaboul en 2015. Contrainte de quitter une deuxième fois son pays, Fatimah vit en France depuis l’arrivée des talibans. À présent, elle parcourt le monde pour porter son message et faire entendre à travers ses images la voix des Afghanes muselées.
Française, Oriane Zérah vit à Kaboul depuis 2011. Après un bref exil de trois semaines en août 2021, elle décide de « rentrer chez elle ». Pari fou, insensé. Elle s’était pourtant jurée de ne pas vivre en régime taliban… Photographe (rappelons que la représentation de l’être humain est proscrite dans l’islam), femme, libre et indépendante, elle est au multiple tout ce que les talibans abhorrent. Formée aux arts dramatiques, Oriane Zérah a travaillé pour le Théâtre du Soleil avant de découvrir la photographie en 2010. Grande voyageuse, elle a séjourné en Inde, au Pakistan. Parallèlement à des reportages photographiques pour la presse internationale, elle aime, comme Fatimah Hossaini, photographier la beauté qui se cache, la plus insoupçonnée, mais qu’elle sait dénicher dans le moindre recoin du pays. En vivant sur place, elle a pris la mesure de l’amour des Afghans pour les fleurs, dont ils s’entourent dès le printemps venu. C’est le sujet et la matière de son livre Des roses sous les épines, publié en 2023 aux éditions Images Plurielles. Des portraits d’hommes, souriants et sensibles, posant devant l’objectif, fiers de tenir une rose ou de la porter à leur nez ou encore d’en décorer leur pakol, le chapeau en laine traditionnel. Nous aurions tort, en Occidentaux ignorants, de trouver ces hommes efféminés, car c’est là un raffinement très ordinaire en terre d’Orient.

- Oriane Zérah-