Prévenir l’immobilité militaire européenne…
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine ainsi que la position de Trump sur l’aide à apporter ou pas au pays attaqué, force l’Europe à repenser sa politique militaire. Le député François Kalfon donne son avis sur la question :
« L’Europe doit prendre conscience de l’ampleur des efforts que nécessite son réarmement. Dans un contexte géopolitique de plus en plus instable, la mobilité militaire est devenue un impératif stratégique. Mais encore faut-il qu’elle soit efficace, rapide… et souveraine.
Une logistique à bout de souffle. Ce n’est pas un sujet nouveau. Dès 2017, la Commission européenne identifiait les obstacles à la libre circulation des troupes et équipements militaires à travers l’UE. Mais les efforts sont restés timides, et la réalité actuelle est crue : la logistique militaire européenne relève du parcours du combattant.
Un exemple édifiant : en 2022, des chars Leclerc français devaient rejoindre une base de l’OTAN en Roumanie. Refus de passage de l’Allemagne, en raison du poids des véhicules (56 tonnes pour le char, 37 pour le porte-char). Plan B : le rail. Mais là encore, échec : écartement de rails incompatible, ponts ferroviaires trop faibles, goulots d’étranglement. Résultat : quarante-cinq jours pour traverser l’Europe. Quarante-cinq jours dont Vladimir Poutine n’aurait sans doute pas besoin pour mener une offensive contre un État membre.
Des moyens insuffisants. Ces entraves sont connues. Le deuxième obstacle, c’est l’argent. En 2018, le Service européen pour l’action extérieure estimait à 6,7 milliards d’euros le budget nécessaire pour développer une véritable mobilité militaire. Nous n’en avons engagé que 1,7 milliard à ce jour. Pourtant, en février 2025, le commissaire des transports, Apostolos Tzitzikostas, a estimé les besoins réels à 70 milliards d’euros.
Un levier pour le civil, aussi. Investir dans la mobilité militaire ne sert pas qu’à la défense. C’est aussi un levier pour la mobilité décarbonée, la modernisation des infrastructures et la réindustrialisation. Il faut cependant éviter le détournement des fonds structurels, et garantir un véritable double usage civil-militaire. Cela suppose de défendre une préférence européenne : infrastructures, matériels roulants, technologies doivent être produits en Europe. Promouvoir la mobilité militaire sans s’assurer que les infrastructures et les moyens de transport sont européens, c’est creuser notre dépendance.
Ports européens, influences étrangères. Autre talon d’Achille de notre souveraineté : la dépendance à la Chine. Pékin contrôle aujourd’hui certains de nos ports : 67% du port du Pirée, 51% de celui de Valence, et des parts significatives à Hambourg, Anvers ou Dunkerque. Peut-on sérieusement imaginer que nos équipements militaires transitent par des ports sous influence étrangère, alors même que la Chine renforce ses liens militaires avec la Russie ? Le défilé des troupes chinoises à Moscou, le 9 mai dernier, en est une illustration glaçante.
Pour une défense souveraine. Il est temps de se doter d’un Buy European Act pour la défense. Le rapport EDIP, porté notamment par Raphaël Glucksmann et adopté par le Parlement européen en avril 2025, va dans ce sens : au moins 70% des composantes des produits soutenus par des financements européens doivent être issus d’entreprises européennes.
Nous ne pouvons plus être naïfs. La mobilité militaire est un enjeu hautement stratégique pour l’Union européenne. Sans maîtrise de nos routes, de nos rails et de nos ports, il n’y a pas d’Europe de la défense crédible. »
François Kalfon