Natation. Le Maître de nage…
Ayant eu à défendre plusieurs dossiers environnementaux dans le haut-pays grassois, on m’avait demandé, il y a quelques années, de me présenter à des fonctions électives. J’avais accepté - pour la bonne cause - sans savoir où je me mettais les pieds. Ayant découvert que je n’étais… que maître-nageur-sauveteur, le concurrent d’une autre liste chercha à minimiser ma candidature, laissant entendre que cette activité professionnelle ne me donnait aucune crédibilité pour me présenter. Je lui répondis que j’avais appris à nager et entraîné des centaines de jeunes et de moins jeunes, sauver plusieurs personnes et que je ne rougissait pas de mon parcours, loin de là. Je lui ai alors demandé de m’appeler Maître !

- Gérard Karsenty, 1970, port Canto (c) PCA -
Il y a Maître et maître… l’avocat en est un, le Maître-nageur en est un autre. Le Maître nageur sauve des vie, l’avocat défend... sans distinction innocents et coupables. Mais, c’est d’un Maître de nage dont je veux parlé aujourd’hui. Dans les années 60/70, j’étais un parmi ces centaines de milliers de fidèles lecteurs du journal L’Équipe. Un vrai rituel, tous les matins, au bistrot Le Petit Carlton, à Cannes, je prenais un café et un croissant et parcourais avidement les rubriques du quotidien sportif le plus lu de France, le plus sérieux, le plus professionnel. Une… équipe de journalistes hors pair, talentueux, de belles plumes aussi ce qui ne gâchait rien. Passionnés, ils représentaient l’élite de leur métier. Ils connaissaient parfaitement les sports pour lesquels ils intervenaient. Ils parlaient de gestes techniques, de temps de passage, d’interval training, de negative split... et les questions qu’ils posaient aux athlètes et aux entraîneurs étaient toujours pertinentes. Je me souviens de Robert Pariente, de Guy Lagorce avec qui j’avais brièvement correspondu, d’Antoine Blondi, féru du Tour de France, d’Oppenheimer, véritable bible, incollable sur l’histoire des sports, plus spécialement celle de la natation. Ainsi, il connaissait par cœur tous le noms des champions, leurs performances, et ce depuis le début de la natation moderne. Venaient souvent me rejoindre, à moins que ce ne soit le contraire, mon ami Georges Cantagrill et son éternelle Gauloise au coin des lèvres, Guy Ledroff, Maître d’armes et cascadeur, Christian Nigoux pas encore Maître es sciences médicales ou mon père Fernand… occasions d’échanger informations diverses et variées, commentaires enflammés et pas toujours objectifs… L’athlétisme, la natation et le vélo avaient toute notre attention. Sports individuels, il est vrai qu’ils partagent quelques points communs, notamment quant à leurs méthodes d’entraînement.
Mais revenons à nos moutons : le Maître de nage. C’est dans le journal l’Équipe que justement j’en avais entendu parlé. Lors d’un déplacement dans le Club d’UCLA à Los Angeles où sévissaient une équipe qui pourvoyait de nombreux nageurs et nageuses aux J.O. et aux Championnats du monde, le journaliste avait remarqué qu’un des entraîneurs prenait un par un les nageurs pour ne travailler avec eux que la technique. Cela m’intrigua et, moi-même de passage dans la ville en 1972, je voulus en savoir plus. Sans succès. Mais quelques semaines plus tard, en route pour la cité des Anges, plus au nord, je m’arrêtais dans la ville de Santa Cruz dont les bâtiments de l’université sont idéalement situés en pleine nature. Mon ami David Dickson (deux fois capitaine de la sélection australienne aux J.O.) m’avait donné l’adresse d’un copain qui entraînait La Madrona Athetic Club dans un bassin de 25 x 12 mètres (4 lignes d’eau). Les nageurs étaient tous d’un excellent niveaux et sans doute pour la plupart capables de participer aux finales de notre Championnat de France… Ils s’y retrouvaient à 6 heures du matin et en fin d’après-midi. Par groupe de niveau, à six ou sept par ligne, garçon et filles mélangés, la concurrence était franche. Un vrai bain bouillonnant, très impressionnant, exemplaire. Dans mon esprit, cet environnement stimulant, compétitif, ne pouvait être, au moment des grands rendez-vous sportifs, qu’un avantage.
C’est à cette occasion que je remarquais la venue en début de soirée d’un personnage qui dénotait un peu avec le personnel d’encadrement. Il restait en tenue de ville et remontait son pantalon pour ne pas mouiller le bas en marchant le long du bassin. C’était donc lui le Maître de nage. Prenant les nageurs un par un, il leur prodiguait des conseils d’ordre technique, dans les quatre nages mais aussi le plongeon départ et les virages. En effet, la natation est un sport très technique. Ainsi en crawl, il ne suffit pas de prendre l’eau devant et de la mettre derrière. C’est un peu plus compliqué. Il s’agit de trouver le trajet le plus approprié mais pas que. En fait il leur donnait les outils nécessaire pour qu’ils trouvent « le geste juste », un geste leur appartenant en propre, un geste à sans cesse peaufiner. Parfois, le Maître de nage installait devant un public attentif, un grand tableau noir sur sur le bord du bassin. Il s’en servait alors pour expliquer une trajectoire. Plus généralement pour parler le plus simplement possible de biomécanique ou de la Théorie des fluides. J’avoue que je n’en revenais pas.
Certains entraîneurs rencontrés se suffisent de mettre en situation le nageur. A lui de trouver « le geste juste ». Les meilleurs le trouveront empiriquement. Cela engendre à mon sens un immense gaspillage car, beaucoup d’entre nous ont besoin qu’on les guide, qu’on leur donne des outils et plus de temps. L’usage extensif des éducatifs est une autre façon de développer « l’intelligence du corps », mais, selon mon expérience, ils ne sont pas tous pertinents…
Je n’ai pas revu le « Maître de nage », ni ici, ni ailleurs. Voilà, voilà...