Pour une souveraineté économique européenne...

Catégorie Les paradoxales

Les lubies, les croyances dans la science économique infuse, les décisions prises en passe d’être mises en application par Trump, forcent le reste du monde à remettre sur le tapis les règles et les usages de la mondialisation. Le député européen Raphaël Glucksmann lance quelques pistes :



- Raphaël Glucksmann -

« Un nouvel âge de confrontations militaires, idéologiques, politiques et commerciales s'ouvre après des décennies d'intégration économique mondiale et de globalisation effrénée. L’intrication des chaînes de valeur et la mobilité des capitaux sont instrumentalisées par nos adversaires pour affaiblir notre tissu industriel et accroître nos dépendances stratégiques à leur égard. L’Union européenne prend enfin conscience de la nécessité d’assurer sa sécurité économique, mais tout ou presque reste à faire. La révision du règlement sur le filtrage des investissements étrangers, adoptée sous ma responsabilité par le Parlement européen en ce mois de mai, constitue une première pierre à l’édifice. 

Cette révision suit un cap clair : reprendre le contrôle. Reprendre le contrôle de nos chaînes de valeur, protéger nos technologies sensibles, éviter les dépendances critiques, mettre en place un cadre unique, prévisible pour les investisseurs internationaux. Car sécurité économique et attractivité ne s’opposent pas, contrairement à ce que veulent nous faire croire les tenants du laissez faire, laissez passer. 

Le Parlement européen a fait siennes nos propositions ambitieuses, fondées sur trois piliers.  D'abord, un socle commun pour le filtrage des investissements. Aujourd’hui, chaque État membre applique ses propres règles. Résultat : des failles dans la protection européenne et de la complexité pour les investisseurs. Avec notre texte, un socle commun d’investissements sensibles ferait obligatoirement l’objet d’un filtrage et d’une autorisation préalable. Ce cadre harmonisé mettrait fin aux disparités et renforcerait l’efficacité du système. 

Ensuite, la sécurité économique comme boussole. Dans un contexte de rivalités géopolitiques croissantes, l'Europe doit apprendre à dire non. Non aux investissements qui, sous couvert de logique de marché, cachent des stratégies de domination économique. Prenons un exemple concret : le constructeur chinois BYD, massivement subventionné par l'État chinois, construit actuellement une usine de voitures électriques en Hongrie. Une bonne nouvelle ? Pas si l’entreprise ne crée aucune valeur ajoutée en Europe, si elle ne se fournit qu'en Chine et n'emploie que des travailleurs chinois. Un tel investissement instaurerait une concurrence déloyale depuis l'intérieur même de notre marché, étoufferait notre industrie, contredirait nos stratégies de développement de la production de voitures électriques européennes et créerait de nouvelles dépendances stratégiques pour notre continent. Avec cette révision, nous pourrons imposer des conditions – comme la création d’une coentreprise européenne ou le transfert de technologies – ou même interdire de tels projets lorsqu’ils s’opposent à notre souveraineté économique. 

Enfin, nous opérons un saut fédéral en matière de contrôle des investissements. Trop souvent, la logique économique ou financière à court terme des États membres prime sur l’intérêt stratégique à long terme de l’Europe. Pour y remédier, nous proposons une avancée majeure : donner à la Commission le pouvoir d’intervenir en dernier ressort pour refuser ou conditionner un investissement présentant un risque pour l’Union. C’est un vrai pas vers une Europe plus souveraine et plus intégrée.

Ce texte s’inscrit – avec l’instrument de défense autonome EDIP dont je suis aussi le rapporteur - dans la rupture nécessaire avec l’irénisme des dernières décennies : l’affirmation d’une Union européenne souveraine. Le vote du Parlement européen en séance plénière la semaine dernière m’a donné un mandat fort pour défendre cette position ambitieuse lors des négociations avec le Conseil. Nous pouvons désormais faire de ce règlement un pilier d’une véritable stratégie européenne de sécurité économique. 

Le long et difficile combat pour la naissance d’une puissance européenne libre et souveraine continue. Et nous le mènerons jusqu’au bout. »

Raphaël Glucksmann