IA. La problématique culturelle…
Emma Rafowicz, député européenne, vice-présidente à la Commission de la Culture et de l’Eduaction, éclaire le débat.
- Emma Rafowicz -
À l’heure de l’intelligence artificielle, concilier innovation et préservation du droit d’auteur et
de la diversité culturelle à l’échelle européenne.
« Les enjeux d’innovation seront au cœur du sommet pour l'action sur l’intelligence artificielle qui se déroule à Paris les 10 et 11 février. Véritable révolution technologique, elle est pourvoyeuse d’opportunités et de progrès incontestables. Mais derrière l’innovation, se cachent des facettes plus inquiétantes pour le monde de la culture qui appellent une prise de conscience à l’échelle européenne.
La grande spoliation d’œuvres culturelles orchestrée par les modèles d’IA générative qui peuvent eux-mêmes mettre désormais au point des œuvres créatives et l’impact des algorithmes de recommandation des plateformes qui façonnent les préférences culturelles des utilisateurs pourraient causer des dommages à la création, privée de rémunération et conduire à une standardisation culturelle sans précédent. Ces effets se font d’ailleurs déjà ressentir.
L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal législatif, obtenu de haute lutte, mais dont certaines dispositions doivent être modifiées ou suivies avec la plus grande attention dans leur application. La Directive dite “droit d’auteur“ adoptée en 2019 a été une première pierre dans la construction d’un édifice juridique de protection malgré la création d’une brèche qu’a constitué l’exception à des fins de recherche. Le règlement sur l’intelligence artificielle adopté en 2024 a été une seconde étape mais doit aujourd’hui trouver une traduction concrète pour protéger les créateurs. Un principe essentiel doit le guider en particulier : la transparence. Sans elle, les créateurs ne peuvent savoir quelles données d’entraînement sont utilisées et il leur est dès lors impossible de faire valoir leurs droits au titre du droit d’auteur. Dans ce processus, la France d’Emmanuel Macron a pu un temps décevoir en écartant durant les négociations le principe de transparence et ainsi en cédant aux intérêts des groupes privés au nom de la sacro-sainte compétitivité. Or celle-ci ne peut se faire au détriment du respect des ayants droits, de la création et de l’exception culturelle.
Dans ce contexte, l’Union européenne doit s’affirmer comme une puissance culturelle capable de dompter les déstabilisations que pourrait susciter l’intelligence artificielle pour le monde créatif. La priorité doit aller à la préservation du droit d’auteur et à la rémunération des créateurs en s’assurant que le modèle de résumé qui doit être rendu public par les fournisseurs de modèles d’IA à usage général soit suffisamment détaillé et que le code de bonnes pratiques élaboré par le bureau européen de l’IA inclut des licences d’utilisation des œuvres pour entraîner les modèles. De manière plus ambitieuse, il serait nécessaire de retourner la charge de la preuve et d’obliger les fournisseurs d’IA à rémunérer les artistes sur la base des œuvres utilisées. L’innovation doit être également au cœur de l’agenda européen : il est impératif de miser sur le développement d’acteurs européens de l’IA pour contrer la domination américaine.
L’intelligence artificielle n’est pas un ennemi pour les créateurs mais elle pourrait le devenir. À nous Européens, de sortir de notre naïveté, pour protéger nos artistes et inspirer le reste du monde dans le développement d’une intelligence artificielle éthique et responsable tenant compte de la diversité culturelle. »
Emma Rafowicz