La Côte d’Azur intemporelle… faite vos jeux !
Éditorial signé par Fernand Dartigues, correspondant du plus grand quotidien francophone de Genève : La Suisse. Depuis fin août 1972, bien des choses... n’ont pas changé.
- le Palm Beach de Cannes, époque Jean Robert Toutain, Robert Fabre, Francis Ilari...
« Jamais sans doute, la Côte d’Azur n’avait connu une telle affluence sous un tel soleil. Depuis le mois de mai, nous avons compté, tout au plus, deux heures de pluie, ce qui a eu pour effet de remplir les hôtels et les plages, ainsi que les casinos. Sans faire aucunement œuvre de propagandiste, on peut bien dire que c’est une grande réussite pour le tourisme estival. Depuis le mois de juin, de Monte-Carlo à Saint-Tropez, toutes les villes de la Côte ont rivalisé en fêtes de toutes sortes, tant mondaines que populaires et folkloriques. C’est ainsi que le 1er août, à Nice et à Cannes, la Fête nationale a été dignement célébrée par des cérémonies de caractère à la fois officiel et amical.
L’un des plus grands casinos que compte la Côte d’Azur s’est mis récemment en vedette en raison des sommes gagnées et perdues par des joueurs prodigues. A tel point que l’on a dû mettre en circulation, sur les tapis, des plaques de 50 000 et de 100 000 nouveaux francs. Dans l’espace de deux soirées seulement, sept millions de NF ont été encaissées par un seul joueur… qui, du reste, n’a pas tardé à les reperdre en grande partie. Une duchesse italienne a passé des nuits entières à jouer par plaques de 10 000 NF, donnant des frissons aux professionnels les plus chevronnés. L’importance de ces jeux est telle que le public et les journalistes s’y pressent comme à un spectacle. On attend avec curiosité la fin de la saison pour connaître le bilan d’une telle activité !
La menace du pétrole
Mais il existe pour les autorités des Alpes-Maritimes, un nouveau sujet de préoccupation qui gagne le public et ne va pas tarder à soulever de vives polémique. Il s’agit des demandes d’autorisation qui ont été déposées à la préfecture de Nice par plusieurs grandes compagnies, en vue de forages, en Méditerranée, non loin des rivages de la Corse et peut-être même de la Côte d’Azur. Un des premiers à réagir à l’annonce de cette nouvelle fut M. Bernard Cornut-Gentille, maire de Cannes. Dans une lettre adressée au préfet, cet administrateur s’est exprimé ainsi :
« En soi, le permis de recherche ne suscite pas de critique, mais son aboutissement normal consistera pour ces compagnies, à déposer un permis d’exploitation. C’est à cette conclusion qu’il convient de répondre d’avance par une opposition formelle et un désaccord de principe définitif. En effet, la plus grande partie de la zone couverte par les permis de recherches correspond à des fonds marins très importants. En admettant que des hydrocarbures y soient trouvés, puis exploités, les conditions techniques de mise en place des appareils de sondage seront très délicates et, surtout (les enseignements que les travaux de la Comex, entre autres, ont pu donner), montrent qu’en cas d’accidents, il sera certainement impossible d’intervenir. On risque alors une ‘marée noire’ auprès de laquelle celle du Torrey-Canyon n’était qu’un accident mineur et limité. Dans une mer fermée et sans marée comme la Méditerranée, ce peut être l’origine de dégâts irréversibles. Je vous demande donc Monsieur le préfet, de bien vouloir inclure cette lettre dans le dossier d’enquête ouvert à la préfecture à l’occasion de ces demandes de permis de recherches. »
Tour à tour, M. Olivier Giscard-d’Estaing, député, le Conseil général du département et plusieurs associations de sauvegarde ont manifesté leur inquiétude et leur opposition. Il est certain que la menace est grave ; il n’est pas utile d’insister sur les périls signalés. La pollution tend, de plus en plus, à devenir notre principal problème. Nous sommes de nouveau confrontés, avec les impératifs créés par notre société industrielle d’une part, et le profond désir (ainsi que le besoin) de conserver assez de naturel pour vivre humainement. A cela s’ajoute le respect inné de certains sites parmi les plus agréables à visiter. On ne peut nier qu’il y a là, un patrimoine privilégié et que , à beaucoup d’égards, il convient de laisser intact.
Les choses en sont là, aucune autorisation n’est encore délivre, mais cela ne suffit pas à rassurer une opinion qui s’alarme, craignant que la puissance des grandes compagnie ne finisse par l’emporter sur toutes autres considérations. Comme un peu partout dans le monde, deux grandes tendances se manifestent : celle des affaires et du profit, celle de la nature dont les hommes craignent de plus en plus de se trouver séparés. Les années à venir nous dirons laquelle des tendances finira par l’emporter. »
[NDLR : 50 ans après, certains de nos soucis ont perduré, voire se sont aggravés. Notamment la pollution de l’air et ici, surtout de l’eau de mer est bien réelle. Ainsi notre sacro-saint ‘Pavillon bleu’ est montré du doigt dans Charlie Hebdo par le journaliste d’investigation Fabrice Nicolino. Un pavillon alibi qui ne prend en compte que deux bactéries alors que les risques sont multiples (cosmétiques, résidus médicamenteux, pesticides...)]