Cannes Festival. 1955, année décisive…

Crédits:
textes par

Fernand Dartigues, alors correspond permanent sur la Côte d’Azur du quotidien genevois « La Suisse », vivait la 8ème édition d’un Festival du film qui balbutiait encore sans aucune certitude pour l’avenir. Quelques trente ans plus tard, en mars 1986, il revenait sur cet événement marquant à plus d’un… titre :


- l'ancien Palais, 1960...

Brigitte Fossey et Brigitte Bardot, sur la plage de Cannes, et cela de façon simultanée, ça s'est vu quand ? Eh bien, je vais vous le dire : en 1955. L'une était une gamine qu'un film venait de rendre célèbre, par un de ces miracles dont le cinéma était alors coutumier. Les « Jeux interdits » de René Clément faisaient en effet partie de ces œuvres qu'on n'oublie pas. L'autre connaissait déjà l'art d'attirer les regards sur elle et figurait parmi les rares starlettes appelées à faire leur chemin vers la gloire. Et quel chemin ! Je la revois encore, très jeune fille, mettant volontiers sa silhouette en valeur devant l'objectif des photographes qu'elle attirait déjà comme un aimant. Se doutait-elle qu'elle en viendrait à les fuir, et qu'ils la traqueraient sans répit, quelques années plus tard ? Quoi qu'il en soit, les deux Brigitte n'avaient pas fini de faire parler d'elles ! 

Vadim n'était pas encore passé par là, B.B. attendait qu'on la crée, mais les quelques mots que j'échangeai avec elle sur la plage du Carlton me donnèrent à penser que sous ce visage un tantinet boutonneux et cette allure de débutante en quête de réalisateur, un personnage pourrait bien apparaître. Merci Brigitte d'avoir si bien confirmé mon appréciation ! A vrai dire, une jeune journaliste, avec qui je me trouvais en bon terme, m'avait incité à mieux observer cette actrice encore anonyme, chez qui elle avait décelé des mérites peu évidents.

Cette même année, le Festival avait commencé par la présentation du « Salaire de la peur ». Je n'avais jamais vu créateur plus inquiet que Georges Clouzot ce soir là.

La rosette de la Légion d'honneur remise à Walt Disney par le ministre Émile Hugues, alors maire de Vence, Besty Blair au pinacle pour son interprétation dans « Marty », l'Aga Khan et la Bégum recevant princièrement, dans leur villa Yakimour, Lollobrigida et Sophia Loren, coup sur coup, Esther Williams, Grace Kelly... la grande presse célébrant avec lyrisme le ciel sans nuage, la chaleur ambiante et humaine... Ce 8ème Festival fut peut-être celui qui amorça le virage décisif, celui qui devait décider de la suite. Jusque-là, son état pouvait encore sembler précaire.

En couverture de Paris-Match figurait un visage dont la beauté classique recelait comme un secret, un profond pouvoir d'expression. C'était celui de Grace Kelly, vedette venue tout droit d'Amérique pour présenter « The country girl ». Qui se doutait, alors, que l’année suivante, elle tiendrait si bien le rôle prédestiné d'une authentique princesse de Monaco ? Il est vrai que depuis ses débuts, le Festival a mêlé fiction et réalité, au point de créer dans notre esprit une étourdissante confusion.


- le foule des grands jours, à l’entrée du Carlton, autre lieu indissociable du Festival -

Lorsque, sortant de l'ancien Palais, après avoir assisté à des scènes dramatiques ou cocasses, je me retrouvais face à la mer sur une Croisette envahie par un public délirant, lorsque je voyais se présenter à l'entrée du Carlton un homme tenant une vache en laisse, lorsque sur les plages les seins se dénudaient (avec quelques années d'avance sur la mode), lorsque je voyais des scènes d'hystérie se répéter autour de moi... les images de l'écran et celles du monde où je me trouvais tendaient à me faire croire qu'il n'y avait aucune solution de continuité entre elles, aucune rupture entre l'imaginaire et le réel. Beau sujet de réflexion, n'est-ce pas ?

Ai-je rêvé cette femme noire que je regardais avec une admiration non dissimulée, alors qu'elle buvait des dry à l'hôtel Majestic ? Elle était accompagnée d'un mulâtre à l'élégance raffinée à qui elle murmura quelques mots en anglais. S'adressant à moi, celui-ci me dit : Madame demande si vous voulez vous joindre à nous pour dîner dans sa chambre. J'en fus si surpris que j’énonçai un refus maladroit, ce qui la fit rire aux éclats. Je m'en allai là-dessus, plutôt piteux, mécontent d'avoir manqué d'audace. Il s'agissait de la femme d'un producteur américain très connu ma foi, je me demande encore ce que j'ai perdu... ou que j'ai évité.