Conte de Noel : d'Alger à Cannes...
le voyage d'une princesse.
Jocelyne Mas nous régale d'une page pleine de nostalgie qui nous conforte dans l'idée que nous sommes capables de donner une âme aux objets lorsque nous les chargeons d'émotion...
Ma Princesse. Cette poupée je m'en souviens a été le plus beau cadeau de ma vie de petite fille. En revenant de l'école, nous nous arrêtions souvent, ma mère et moi, devant la vitrine du plus grand magasin de jouets d'Alger. Là, dans un angle trônait une merveilleuse poupée, la plus belle ! Ses longs cheveux blonds bouclés croulaient sur ses épaules, sa robe d'organdi rose semblait si légère qu'un souffle de vent l'aurait emportée. C'est celle-ci que je voulais pour Noël mais ma mère ayant lu l'étiquette avec le prix me disait d'être raisonnable, qu'elle était beaucoup trop chère et que papa ne voudra sûrement pas. Et tous les jours puisque c'était notre chemin de retour vers la maison, je rêvais devant la vitrine de cette si belle poupée. Mais je me disais qu'il fallait que je sois raisonnable et que je choisisse autre chose pour Noël. Je trouvais finalement une petite poupée bien mignonne sur une autre étagère et dis à Maman voilà celle-ci me plait bien. Mais je jetais toujours un regard admiratif vers ma Princesse (comme je l'avais appelée dans mon cœur).
Vint le jour de Noël, le 24 au soir nous étions allés à la messe et avons dîné tous les quatre, mes parents, mon frère et moi. Mais le 25 nous devions tous ( mes oncles et tantes, cousins et cousines ) aller déjeuner chez mes grands-parents à Baraki, petit village près d'Alger. Après le délicieux repas préparé par ma grand-mère devait avoir lieu la distribution des cadeaux ( nous les enfants avions dépassé l'âge de croire au Père Noël !) Au pied de l'arbre richement décoré près de la crèche plusieurs paquets enrubannés attendaient. Aussitôt la fin du repas, ce fut la ruée, mon grand-père donnait à chacun le cadeau tant attendu. (A l'époque il y avait un seul cadeau par enfant !) quand ce fut mon tour mon grand -père m'embrassa et me tendit une belle boîte enrubannée. Et là je découvris Princesse, aussitôt je fondis en larmes. A l'idée que mes parents avaient dépensé tant d'argent pour me faire plaisir avait chamboulé mon cœur. Ma mère me prit dans ses bras en me disant à l'oreille que je l'avais bien méritée car mes notes en classe étaient excellentes. Et ma grand-mère me tendit un beau paquet, pour tes bonnes notes me dit-elle en m'embrassant, il contenait une autre poupée, jolie comme tout. Ce fut mon plus beau Noël. J'embrassais bien fort mes parents et grands-parents et me réfugiais dans un coin du salon pour découvrir ma Princesse et Leïla. Jamais je n'oublierai ce Noël ! D'abord parce que ce fut le dernier sur notre terre natale. Nous sommes partis sur les routes de l'exil le printemps suivant. Ma mère avait préparé nos valises (nous n'avions droit qu'à une valise par personne) au dernier moment, j'enlevais manteau, pulls, pour enfouir ma Princesse et mes livres dans le fond de la valise. Je savais que ma mère ne serait pas d'accord. La veille j'avais donné ma poupée Leïla à ma meilleure amie, fille de nos voisins et amis harkis qui s'appelait aussi Leïla en souvenir de moi, de notre amitié de toujours.
Bien des années plus tard. Nostalgie du temps passé, du temps disparu à jamais.
Passer Noël sans eux. Quelle tristesse. Plus personne pour raconter les contes de Noël où se mêlent le merveilleux, les croyances, la magie et les superstitions.
Plus de jouets d’enfance, inutiles et trop encombrants mais combien indispensables pour un enfant.
Jouets trop neufs, sans souvenirs, meubles trop neufs sans âme, et sans la patine de temps, n’ayant jamais appartenus à personne.
Seule poupée à avoir traversé la Méditerranée, ballottée sur les routes, malmenée, robe décousue, d’avoir été la seule confidente des chagrins d’une petite fille. Princesse cachée dans un tiroir d’une commode, soixante ans après, a encore le pouvoir de faire couler des larmes sur le visage d’une vieille dame.