Pandémie. Le Monde de demain sera-t-il si différent de celui d’hier ?

Catégorie Les paradoxales

C’est la question à laquelle tentait de répondre Patric Kruissel, dirigeant de Habitat groupe du Bois d’Aton, en avril dernier… Il est par ailleurs président de l'Association de défense contre les nuisances aériennes




La succession de crises financières, sanitaires, environnementales prépare un climat politique propice à la restriction des libertés, dérive dans beaucoup de pays avec l'arrivée au pouvoir de forces populistes. Il y a la sortie de crise, qui consiste à repartir comme avant, c’est ce que fait le Canada en votant déjà les aides aux pétroliers.

Pour Alain Supiot, « la crise sanitaire sans précédent que nous traversons peut conduire au meilleur ou au pire. Le meilleur serait qu’elle ouvre la voie d’un monde humainement vivable, qui tienne compte de l’interdépendance des nations tout en étant respectueux de leur souveraineté de leur diversité. » Machiavel nous dit que l’homme politique doit être particulièrement sensible aux signes des temps pour agir au bon moment. Cette sortie de crise est ce bon moment.

Les experts du Club de Rome ne cessent, depuis 1972, date de l'édition de leur célèbre « The Limits To Growth », d'alerter les responsables politiques sur le fait que notre mode de développement n'est pas tenable à long terme. Leurs prédictions tournées en dérision il y a un demi-siècle par nombre d'économistes, résonnent aujourd'hui de façon magistrale. Dans un article du journal Le Soir, ces experts exhortent l'exécutif européen de mettre en œuvre de toute urgence le Pacte Vert (Green Deal), même de le renforcer. Pour sortir de cette crise, expliquent-ils, nous devons résoudre non seulement cette menace immédiate, mais aussi les futures crises systémiques, générées par le dérèglement climatique, qui seront bien plus profondes, car celles-ci dépasseront notre capacité à gérer les défis multiples, au point de menacer notre civilisation.

De son côté, Christian de Perthuis, fondateur de la chaire Économie du climat, penche pour un scénario de sortie de crise qui aura plus d'impacts économiques que pour la crise de 2008. Pour cet expert la baisse abrupte des transports internationaux (passagers et marchandises) nous permettrait d'amorcer au niveau mondial, la baisse des émissions de GES, qui aurait pour conséquence d'entamer une trajectoire compatible avec les préconisations du GIEC (limiter la hausse température à 2°). Pour le professeur de Paris Dauphine, un rôle renforcé des services publics et la mise en place d’organisations innovantes en sortie de crise doivent permettre de refluer les valeurs d'individualisme et de consumérisme qui sont des obstacles pour une trajectoire bas carbone.

L’épidémiologiste américain Larry Brilliant s'explique, « les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies ». Toutefois, dit Sonia Shah dans le numéro du Monde Diplomatique de mars 2020, nous ne serons épargnés par ces dernières qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie.

Les grands responsables ne sont pas uniquement ceux qui tiennent les rênes du système économique mondialisé, qui pousse au consumérisme à outrance : c'est chacun d'entre nous, par ses choix quotidiens, qui entretient cette machine infernale. Il ne faut surtout pas attendre que parmi les décideurs coupables de notre situation, jaillisse le gourou qui saura nous conduire sur la bonne voie. Soit les gouvernements imposent leur état d'urgence, soit nous citoyens, nous inventons le nôtre.

Edwin Zaccai, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, s’interroge sur la facilité avec laquelle les pouvoirs publics dans tous les pays touchés par la pandémie ont pris des mesures drastiques pour limiter la propagation du virus. La plupart des responsables politiques ont privilégié la protection sanitaire de la population au détriment des performances économiques. Il est donc possible, au bénéfice de la lutte contre le changement climatique, que le rôle des pouvoirs publics pour le bien commun soit réévalué, que les intérêts économiques engendrant des effets négatifs sur la société et l’environnement soit mieux encadrés.

François Gemenne, membre du GIEC nous prévient : si l’on continue à dire que la crise actuelle est bonne pour l’environnement, qu’il faudrait appliquer au climat les mêmes mesures que pour le Coronavirus, on finira par installer l’idée que la lutte contre le changement climatique implique la mise à l’arrêt de l’économie, la limitation des échanges et l’enfermement chez soi... Je doute fort, dit-il, que nous nous souviendrons plus tard de cette époque de confinement comme d’une époque bénie, où nous réduisions drastiquement nos émissions de GES. Pour le professeur d’Université, il y a nécessité de réinvestir dans les services publics, de relocaliser certaines chaînes de production et de revenir à l’essentiel et en particulier de retrouver le sens du commun.

Pour la sortie de crise, comme le disent Gilbert Cette et Olivier Galland, « Certains plaideront sans doute en faveur d’un modèle autoritaire-dirigiste. Mais, jusqu’à présent, nos sociétés libérales ont réagi en faisant preuve à la fois d’efficacité, de dignité et de solidarité. La pire chose serait de chercher des coupables, la meilleure serait de rechercher les voies d’un consensus pour faire face à un monde transformé et plus incertain. »


Patric Kruissel