Médias et violence : l’impossible « bravitude »...
En 1989 Ségolène Royal a 35 ans. Énarque, députée, trois enfants d’un futur président de la République, elle n’a pas encore évoqué la « bravitude » sur la muraille de Chine, lorsqu’elle écrit « Le ras le Bol des Bébés Zappeurs »
Elle surprend ses proches et son environnement politique en dénonçant la montée des programmes de violence à la télévision. Les députés de droite comme de gauche ne la prennent pas au sérieux tandis qu’une partie du public l’approuve. Elle reprendra son argumentaire dans le livre sans que les conséquences de son questionnement fassent bouger les lignes. Et pourtant ses remarques sont la plupart judicieuses et les années passant prennent tout leur sens.
« Et
si beaucoup de parents inquiètent à juste titre des
difficultés scolaires de leurs enfants, ils ont en revanche le
sentiment d'être impuissants devant la médiocrité et la
violence des programmes, surtout sur les chaînes commerciales.
La seule logique des marchands d'images triomphe, c'est-à-dire
celle du moindre coût, et elle guide le contenu de ce qui est
donné en pâture à raison de deux
ou trois
heures par jour, à des bébés zappeurs dont le seul pouvoir
se résume à la pression d'un bouton.
Les
nuisances subies par les jeunes générations sont mises en évidence
: comportements tantôt agressifs, tantôt repliés sur
l'anxiété, cauchemars et troubles
du sommeil, perte de la capacité de concentration, dégradation de
l'image de la femme, modèles
dévalorisants pour les petites filles, et guère plus positifs
pour leurs compagnons de jeux. Sans faire de la télévision un
boue émissaire, il n'est pas trop tard pour refuser
l'alignement sur le bas de gamme des modèles
américains et japonais auquel nous assistons, à condition de savoir
mettre un coup d'arrêt à la loi de l'argent... »
En 2019, le problème n’a fait qu’empirer, démultiplier par les réseaux sociaux et les jeux en ligne. Plus aucune résistance à ces phénomènes de société. Les remarques vertueuses du CSA ne font pas force de loi. La règle soixante-huitarde : « Il est interdit d’interdire », est la seule règle et elle ne règle rien.
Michel Libert, pédopsychiatre à Lille, livrait dans les années 90 quelques réflexions sur le sujet :
« La société, fondée sur la consommation et la satisfaction immédiate de ses désirs, propose des repères très contradictoires et ambigus aux jeunes. Surtout lorsqu'on ne leur a pas appris à avoir la distance qui permet de prendre ou de rejeter le modèle proposé. De plus en plus d'adolescents et même d'adultes ont du mal à comprendre, par exemple, que l'encouragement à la permissivité et l'incitation au plaisir immédiat diffusées par les médias, et en particulier par la publicité et la pornographie, sont pour une bonne part illusoires. D'où les transgressions et les passages à l'acte. »
Selon le point de vue de beaucoup de sociologues et de psychiatres, les bourreaux seraient tous des victimes, victimes de leur hérédité, de leurs gènes, de leur environnement, de leur éducation ou son absence, de leur famille… A leur façon, ils accompagnent le phénomène et nous incitent à en accepter les conséquences, même les plus sordides et les plus graves. Qu'en pensent les victimes de ces présumées victimes, celles qui sont violées, torturées, brutalisées, traumatisées ? Se sentent-elles coupables, le devraient-elles ?
Le cannetan Philippe Servas créait en 1995 l'Association « Médias sans Violence » (dont je fus membre) avec l’intention d’informer le public des dangers de cette violence banalisée et rendue accessible à tous à travers la télévision et le cinéma, de motiver les élus à s’emparer du sujet. Feu de paille malgré les encouragements de Jean-Pierre Leleux alors maire de Grasse. En 2019, le problème a pris des dimensions apocalyptiques…