Sur mes étagères. Voyage en Montherland…
Romancier, essayiste, dramaturge et académicien,Henry de Montherlant fait partie de notre patrimoine littéraire. « Le Génie et les fumisteries du Divin » est un ouvrage numéroté édité à la fin des années vingt. Enrichi d’un frontispice de Hermann Paul, il nous plonge dans ses voyages du moment. Ici, c’est en Espagne qu’il va vivre plusieurs années…
Ce soir, ainsi réunis, les moutons eux-mêmes, les pâles moutons parfumés (le thym dont ils se nourrissent imprègne leur chair) ressemblent aux tombes blanches d'un cimetière musulman. La voix du muezzin ne va-t-elle pas s'épandre du haut de la tour carrée, crénelée de briques, qui défend l’église ou le château fort, de la vieille tour païenne insuffisamment sanctifiée?
Et c'est l'âme
arabe, je le pense qui se reflète sur le visage de ce pays.
Sitôt que l'irrigation cesse, l'écorce aride et calcinée
affleure. De kilomètre en kilomètre, on voit un figuier, un
olivier tout seul dans la nudité sans espoir. Où il y a de la
terre pour un arbre, il y en aurait pour deux et trois. Mais
l’État ne s'occupe guère du reboisement, et l’indigène
l'y encourage mal. L'Espagnol ne peut voir deux arbres sans
trouver quelque raison pour en abattre un. Pourquoi ? Je crois bien
qu’il y a là une passion héritée.
Les Romains,
et non les Arabes, ont construit le système irrigateur de l'Espagne.
Les Arabes l'ont seulement entretenu, par besoin ; encore
l'ont-ils laissé plus précaire qu’ils ne l'avaient trouvé.
Et quand je vois, entre les mains du paysan aragonais, cette
région revenir à son infécondité naturelle, je songe que ce
qui agit Ià chez lui, c'est le vieux goût des nomades pour la
destruction des arbres et l'épuisement du sol où ils campent, le
génie dévastateur de l'Arabe.
N'accusons pas
une nonchalance que bercerait l'Extrême-occident avec le mirage
séculaire de son or. L'Orient, au contraire, reconquiert cette terre
qui crut le chasser. Dans ces solitudes qui nous paraissent
affreuses, le pâtre d'Alhama ou de Bilbilis retrouve l’arôme
du désert originel. A l'heure où le Catalan et le Basque,
après l'usine, écoutent un tribun de taverne, il entend les
voix qui appellent au delà des remparts flambants du monde.
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Indépendamment du plaisir de feuilleter un ouvrage rare, reflet d’un art aujourd’hui réservé à un public d’amateurs/collectionneurs, il y a celui de lire des pages écrite dans une langue châtiée, claire, précise mais facile à lire... Quant à l'éclairage de l’auteur sur l'influence des Arabes en Espagne et ailleurs, chacun est libre de valider ou pas...