Pourquoi « faire payer les riches »
n'améliorait pas le sort des travailleurs pauvres.
Guy Lalanne, ancien directeur adjoint au centre hospitalier de Cannes et ancien administrateur de la Caisse d’Allocation Familiale nous a fait parvenir une intéressante contribution au débat.
Pour Guy Lalanne, faire payer les riches est une vraie fausse bonne idée. Il y aurait d'après lui trois raisons principales qui expliquent pourquoi taxer encore plus les riches (n’oublions pas que pour François Hollande, la richesse commence à partir de 4000 € de revenus par mois) est contreproductif :
Les riches sont pour certains très visibles, mais ils ne représentent qu'un très faible pourcentage de la population. Du coup, même si on les ponctionne davantage et que le système des vases communicants fonctionne sans trop de pertes en ligne, ce qui revient finalement à chacun des pauvres, c'est pas grand-chose, voire rien. Question de statistique !
Cet argent supplémentaire qu'on veut prendre aux riches, en réalité, il est déjà dans le circuit économique, soit parce qu'il sert à financer leur standing de vie, soit parce qu'il est investi dans l'entreprise ou dans la Bourse, participant ainsi à la croissance et à la création d'emplois. En effet, l'argent n'est pas comme une cartouche de fusil, qui ne sert qu'une fois. Il continue à circuler d'acheteur à vendeur. Ce qui est important, c'est le total d'argent, de richesses, en fait, le montant du PIB, qui irrigue la totalité des circuits économiques.
Il faut envisager deux cas de figure.
L'argent supplémentaire prélevé aux riches est entièrement redistribué, aux
bénéficiaires d'aides sociales, à des catégories ciblées (création de postes de
fonctionnaires, majoration de traitements et de pensions, ..), à des
entreprises sous forme de marchés de travaux ou de services (après appels
d'offres)...
Dans ce cas, la dite somme prélevée revient dans les mêmes
proportions à ceux qui ne sont pas directement payés par l’État (travailleurs
et salariés du privé, artisans, commerçants, professions libérales…) et ne
modifie pas leur niveau de vie moyen. La seule différence, c'est que cette
somme est passée par un intermédiaire supplémentaire : l’État (ou autre
collectivité publique). Sans doute y
a-t-il aussi une petite modification dans la structure des dépenses :
moins pour l'industrie et le commerce de luxe et plus pour les produits de
première nécessité. Car cette dite somme n'est plus dépensée directement par
les riches, mais par des consommateurs plus nombreux et plus modestes. Mais,
globalement, pour les salariés du secteur concurrentiel, ceux qui peinent le
plus, qui font tourner la machine économique, et qui sont en bout de chaîne,
avec souvent des salaires de misère (SMIC ou guère plus, temps partiel…), il
n'y a rien de changé ! Sauf un peu plus de mobilité professionnelle, des
secteurs du « luxe » vers d'autres secteurs.
En conclusion, les sommes
prélevées par la puissance publique ne peuvent servir qu'à améliorer les
revenus de ceux qui dépendent directement de la dite puissance, c'est à
dire les 2 premières catégories citées plus haut. Quant aux sommes finançant
des marchés, si elles ne modifient pas le résultat pour les travailleurs du
privé, elles peuvent permettre cependant aux collectivités publiques de
réaliser des investissements d'intérêt public (routes, écoles,…).
Autre cas, l’argent
prélevé aux « riches » n'est pas redistribué et sert uniquement à réduire le déficit de l'État. Eh bien,
dans ce cas, ceux qui souffrent le plus, ce ne sont pas les riches eux-mêmes
(il leur en reste bien suffisamment), ce ne sont pas les fonctionnaires ou les
agents des services publics, ou les retraités, ni les bénéficiaires des aides
sociales, du RSA… ; pour eux, il n'y a rien de changé, puisque l’État ne
modifie pas ce qu'il leur verse. Non, ceux qui souffrent le plus,
paradoxalement, ce sont les travailleurs du secteur privé, ceux qui n'ont pas
des revenus fixés par l’État, ceux qui n'avaient déjà rien gagné globalement dans
le cas de figure précédent. Pourquoi ? Parce que l'argent qu'on
prend aux riches et qu'on ne remet pas dans le circuit économique, réduit
d'autant la consommation, et contracte l'activité des entreprises privées.
Donc, plus on prend aux riches pour réduire le déficit, et
plus on a de victimes collatérales inattendues. Et ce sont toujours les
mêmes : les précaires, les salariés du privé, qui voient leurs modestes
revenus se contracter encore, voire même qui perdent leur emploi, les chômeurs
qui arrivent encore moins à en trouver un, également les petits chefs
d'entreprise, les artisans, les commerçants... enfin tous ceux qui sont la
variable d'ajustement de l'économie. Et comme la dégradation de leurs
conditions est diffuse, multiforme, on ne peut pas l'imputer à une cause
identifiée. Comment d'ailleurs expliquer que c'est en fait une conséquence du
« faire-payer les riches », mesure o combien populaire, symbole même
de justice sociale !
Ce n'est pas pour autant, bien sûr, qu'il faut renoncer à
cette mesure car la réduction du déficit doit rester un impératif ! Mais
pour remettre un peu de justice sociale, il faut aussi alors mettre à
contribution les revenus fixes, ceux des fonctionnaires, agents des services publics,
pensionnés aussi. Mais ceux-ci, retranchés derrière leurs statuts, la garantie
de leur emploi, leurs syndicats, ne l'entendent généralement pas de cette
oreille, et peuvent faire reculer l’État.
Les riches, qui ne sont pas tous des saints, peuvent avoir
le sentiment que trop, c'est trop, et dès lors, soit essayer de faire évader une partie de leurs capitaux
sous des cieux plus cléments, soit de réduire
ou cesser leurs activités créatrices de richesses. « C'est
scandaleux » mais c'est comme ça ! Et nous avons la faiblesse de
penser que beaucoup de ceux qui les condamnent férocement, seraient les
premiers à faire pareil si, par miracle, demain ils devenaient riches...
Donc on voit avec ce 3ème point que « faire payer les
riches », non seulement n'enrichit pas les pauvres, mais peut même les
appauvrir un peu plus. Par exemple, il y a sûrement un lien entre l'impôt sur
la fortune institué au début des années 80 et la « nouvelle
pauvreté » qui a suivi.
L'économie, c'est
diabolique ! Elle ne fonctionne jamais au premier degré. C'est
comme un jeu de billard à plusieurs bandes.
Rappelons que seule l'augmentation de la richesse, du PIB, peut faire reculer le chômage, la pauvreté et la précarité. Nous pensons toujours et avant tout au sort des plus démunis et des plus fragiles. C'est le fil rouge de notre modeste réflexion économique. Et rappelons que justement, le seul moyen d'améliorer la croissance économique, c'est de favoriser la compétitivité et la diversité des entreprises privées, et la productivité des services publics.
Guy Lalanne