Société : le gigantisme en question...
Dénoncé à maintes reprises par des environnementalistes convaincus et des personnes faisant preuve de bon sens, il a fallu le drame du Costa Concordia, pour que le sujet fasse l’actualité.
- exemple de cette démesure en baie de Cannes -
Seuls quelques environnementalistes avaient haussé le ton et rompu le consensus sur les tenants et les aboutissants de cette course effrénée au toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus rentable... jusqu’au jour, où le pépin auquel personne ne veut croire arrive. Et, ce jour-là, la facture est chère, au plan écologique, matériel et au plan humain.
Cette fuite en avant a suivi l’évolution de notre société humaine et la courbe exponentielle de la population mondiale. Toujours plus de monde sur la planète égale plus de projets gigantesques pour étancher la soif inextinguible de ses habitants de posséder et de jouir. Les armateurs construisirent ainsi des porte-conteneurs et des pétroliers de plus en plus grands avec comme seule motivation le profit. Difficiles à manœuvrer, pas toujours bien entretenus, avec des équipages sous formés et sous payés, ils sont vulnérables (ne parlons même pas des dégazages sauvages qui polluent la mer)... À l’arrivée, des drames à la démesure de leurs dimensions et de leur capacité. Les marées noires du Torrey Canyon, de l’Amoro Cadiz, de l’Exxon Valdez...ont marqué les esprits, surtout de ceux qui étaient directement concernés. Ces catastrophes écologiques et humaines n’ont apparemment pas été jugées suffisamment graves pour que les États prennent des mesures nécessaires et efficaces.
Que ce soit dans le domaine de la sécurité nucléaire avec Tchernobyl, de l’aviation civile, il faut des morts et des dégâts matériels importants pour faire bouger les lignes. Le Code de la route évolue lorsque les statistiques sont trop mauvaises, les points noirs sur les routes sont corrigés seulement quand le nombre d’accidentés devient inacceptable... Mais, il est bien difficile d’aller contre un phénomène de...société. La compétition qui règne dans l’industrie aéronautique en est un exemple. La construction d’avions de ligne (l’A380) capables de recevoir plus de 800 passagers, est considérée comme étant un progrès. Jusqu’au jour où une tragédie viendra frapper l’imagination des foules. Aujourd’hui, c’est en mer que le drame c’est produit, dû plus à une négligence humaine qu’à une défaillance technique. Nous en sommes là, il est vrai, et l’erreur peut venir d’un commandant de bord ou d’un technicien dans une usine atomique ici ou ailleurs.
Saurons-nous tirer les leçons de ce dernier événement ? Rien n’est moins sûr car la raison économique prévaut toujours sur la logique et le sens commun. Il est facile de prouver que le nombre d’accidents est faible comparé aux millions de passagers qui utilisent ce nouveau moyen de s’évader, aux millions d’emplois créés, aux millions de profits réalisés. Alors, continuons à aller de l’avant, à faire toujours plus grand même si la prise de risque est importante pour l’écologie et la sécurité des personnes. L’affaire du Costa Concordia montre qu’il est difficile voire impossible d’assurer la sécurité des passagers et des équipages de façon satisfaisante. On l’a vu, rien n’est prévu et ne peut l’être, pour secourir et accueillir brusquement 8000 personnes (bientôt 10 000) qui seraient en difficulté dans des zones dépourvues de personnels qualifiés et de structures hospitalières adéquates... Quant aux procédures d’évacuation, elles laissent à désirer. Quelle est la logique à faire descendre les 8000 passagers que les plus grands navires de croisières peuvent accueillir, dans leurs cabines... au cinquième sous-sol pour chercher leurs gilets de sauvetage, sans ascenseur, éventuellement dans le noir, en empruntant des couloirs étroits et encombrés ? Ne vaudrait-il pas mieux par exemple que ces gilets soient à proximité des points d’évacuation, prés de canots de sauvetage ?
Le seul point positif de ce drame maritime tient peut-être au fait que les langues se délient. Ceux qui mettaient en doute l’intérêt de cette propension à construire plus grand, ceux pour qui les avantages de tels choix ne compensaient pas les inconvénients, osent enfin s’exprimer. Ils ne craignent plus désormais de mettre en cause ce choix de société. Ils sont un peu plus écoutés par les médias, mais pour combien de temps ?
L’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher avait, en 1973, édité un essai « Small Is Beautiful », sous-titré « une société à la mesure de l'homme ». Ce concept est toujours valide. Il existe certainement un nombre d’or. Fluctuant sans doute au gré des situations géographiques et historiques, des inventions, de la capacité des hommes à évoluer et s’adapter... Les pays scandinaves semblent être un exemple sans prétendre représenter pour autant la panacée. Leur taille les rend plus gouvernables, plus flexibles, plus... humains. À l’inverse, l’apparition et la multiplication de mégapoles de plus de 10 millions d’habitants, ont de quoi inquiéter. Que vaut une vie dans ces fourmilières déboussolées et violentes ? Il est déjà bien difficile de donner un sens à l’existence mais là, ça se complique.