En prison
écrit à la prison Saint-Pierre, à Marseille, du 20 août au 16 novembre 1944
Les murs sont blancs et nos visages
Leur ressemblent de plus en plus
Quelquefois nous ne savons plus
Depuis quand nous sommes en cage.
Nous faisons de maigres festins
Servis par des gardiens austères
Qui nous ordonnent de nous taire
Comme on le ferait pour des chiens !
Nous rions de notre aventure
Mais nous nous taisons tout à coup
Lorsqu' parviennent jusqu'à nous
Les cris de ceux qu'on torture.
Les hommes sont cruels et fous
Les hommes sont bêtes et lâches
Il arrive qu'on nous attache
Afin de nous rouer de coups.
Il arrive que l'on nous brûle
Que l'on nous écrase les doigts
Que l'on nous mette sur la croix
- comme Jésus, c'est ridicule ! -
Il peut tout arriver ici
Qui voulez-vous qui nous protège ?
Les bourreaux tiennent le manège
Et nous sommes à leur merci !
Par la brèche de la cellule
Où nous sommes dix à croupir
Je regarde le ciel mourir
Entre l'aube et le crépuscule.
Et tout le temps je pense à toi
A notre douce insouciance
Quand nous étions sans expérience
Tranquilles, sous le même toit !
La peine est longue, l'heure lente
Il est loin le temps de l'amour
Et je sens dans ce dur séjour
Mon âme devenir méchante.
Mourrais-je sans avoir revu
Notre fils et ta fière image ?
Les murs sont blancs et nos visages
Leur ressemble de plus en plus !