On nous aurait donc menti !
Cette délicieuse petite phrase, opportunément naïve dans la bouche de notre coureur cycliste Richard Virenque, pourrait aisément être ressortie ces jours-ci à propos d’une des multiples facettes de l’affaire Bettancourt. Une affaire de plus en plus d’État.
Il est bien possible qu’un tel dossier eut pu faire trembler l'Establishment au Canada ou aux USA. Mais nous sommes en France et les règles et les usages en cours ne sont pas les mêmes. Les systèmes financiers autant que judiciaires ne sont guère comparables. Ainsi l’affaire DSK a été relativement vite bouclée et le doute raisonnable (dû principalement à la perte de crédibilité de la plaignante) a bénéficié à l’accusé. En d’autres décennies, Watergate avait poussé un président des États-Unis à la démission tandis qu’une histoire de cigare en avait fait vaciller un autre dans son salon ovale…
Jusqu’où ira l’affaire Liliane Bettancourt et ses ramifications ? Nul ne le sait encore. Ce qui semble évident, c’est qu’elle met à jour les pratiques du contre espionnage au service de l’État et du président Sarkozy, ex ministre de l’Intérieur. Si on peut comprendre et accepter que des fonctionnaires ad hoc enquêtent avec tous les moyens à leur disposition lorsqu’il s’agit de terrorisme et de la sécurité du pays, il est plus difficile d’admettre que ces mêmes agents mettent les mêmes moyens pour… espionner un journaliste susceptible d’écrire un papier qui pourrait déplaire ou nuire à la réputation ou aux intérêts d’un homme politique si haut soit-il placé dans la hiérarchie ou du chef d’une entreprise si bien placée soit-elle dans le… top 50 (pardon du CAC 40).
Le journal Le Monde a pris des risques calculés, pour ouvrir la boîte à Pandore et dénoncer les écoutes illégales qu’aurait subi un des ses journalistes d’investigation qui ne faisait… qu’investiguer, Gérard Davet. Ces écoutes, d’abord niées mais toutes aussi illégales, les services concernés les ont finalement avouées et relativisées en cherchant notamment à inverser le calendrier. Car, ce ne sont pas les écoutes présumées légales à l’encontre d’un magistrat soupçonné de fuites qui ont conduit au journaliste mais bien le contraire. Un cas d’école puisque les sources d’un journaliste sont protégées par la loi. On imagine déjà que quelques plombiers payeront la facture et se retrouveront, au pire au placard, au mieux promus dans un autre service. En attendant, le mal est fait et le-dit magistrat en poste au ministère de la Justice, David Sénat, a été sanctionné. En fait, il a été limogé. Comme Éric Wœrth, alors Ministre du Travail (et dont à l'époque on ne tarissait pas d’éloges…), c’est une des victimes les plus visibles de l'iceberg.
Une affaire qui fleure les relents des officines qui ont fleuri à l’ombre des bureaux de l'Élysée et de Matignon… Qui des présidents français n’y a pas fait passer des ordres ? Avec un certain courage, sachant qu’elle allait déclencher la guerre, la magistrate Isabelle Prévost-Desprez, qui avait enquêté sur un volet du dossier Bettencourt, s’est jetée dans la fosse aux lions sans avoir de certitude qu'elle en ressortirait vivante même s’il faut relativiser les menaces de mort qui ont avant tout une valeur… pédagogique. N’est pas Boulin qui veut ! Ainsi donc Isabelle Prévost-Desprez s’est laissée aller à faire des confidences à deux journalistes Gérard Davet (cité plus haut) et de son compère Fabrice Lhomme qui la citent dans leur livre : « Sarko m’a tuer » (Stock). Un brûlot qui dénonce le climat de peur instauré dès qu’on évoque des dossiers sensibles qui pourraient contrarier les princes de ce pays et contribuer à les discréditer. Nul doute que ses déclarations vont lui attirer les foudres de la Chancellerie qui ne manquera pas de lui rappeler ses devoirs de réserve. La juge mentionne elle-même les dires de Claire Thibout, la comptable de Liliane Bettancourt, mettant celle-ci dans une fâcheuse posture et la forçant à démentir. Ce démenti peut bien sûr être interprété de deux façons. La juge a inventé, faisant état de fausses confidences et c’est grave et difficilement concevable de la part d'une telle professionnelle. Ou bien, la comptable a peur et puisqu’il n’y a pas eu de procès-verbal, n’a pas vraiment d’autre choix que de nier.
Lorsqu’on est à l’extérieur, qu’on ne fait que regarder, écouter et supputer, difficile de prendre définitivement parti. La Justice passera-t-elle, des plombiers trinqueront-ils ? Ce qui est sûr, c’est que Wœrth a disparu de la circulation, la juge peut dire adieu à son plan de carrière, la comptable aura du mal a se recaser et, il y a de fortes chances que d’ici quelques mois, on n'en parlera plus que sur les bancs des écoles de journalistes et peut-être dans un cours de Sciences Po, de l’affaire Bettancourt et de ses avatars !
Alain Dartigues