Aix en Provence. Le bestiaire magique de Niki de Saint-Phalle…

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L’Hôtel de Caumont expose les nanas de l’artiste franco-américaine mais pas que. Le critique d'art Jacques Luchesi visite pour nous l'exposition :




Pas plus que l’origine sexuelle des rêves, la part qu’ils prennent dans les terreurs enfantines n’est plus à démontrer depuis un certain Sigmund Freud. Les artistes, eux aussi, ont été attentifs à ces productions de l'inconscient, surtout quand elles rejoignaient un fonds immémorial d'images mythiques. Elles peuplent, non seulement les grands récits fondateurs, mais aussi les contes et les poèmes, dans un continuum évident avec les arts de l'image. Il suffit de songer aux enluminures médiévales ou, plus près de nous, à des peintres comme Gustave Moreau et Odilon Redon.

Quoique très tôt associée aux Nouveaux Réalistes par ses matériaux et ses méthodes audacieuses, Niki de Saint-Phalle (1930-2002)  n'a pas échappé à cette fascination, loin, très loin des simulacres machinistes de son époux Jean Tinguely. Celle dont le grand public retient surtout ses volumineuses Nanas et ses performances de tir pictural à la carabine, a puisé aussi son inspiration dans les légendes de son enfance nivernaise. Et c'est vers Gaudi – artiste mystique par excellence – qu'il faut se tourner si l'on veut comprendre son projet artistique.

C'est l'angle d'approche choisi par Lucia Pesapane, commissaire de cette belle exposition à l'Hôtel de Caumont. Avec le soutien de la Niki Charitable Art Foundation, elle présente ici un ensemble de sculptures, de tableaux, dessins et objets décoratifs qui présentent au mieux cet aspect de l’œuvre de l'artiste franco-américaine. Dès le début du parcours le visiteur est confronté à l’une de ses créatures fétiches : le dragon. Figure du diable, du moins dans l’imaginaire occidental, il est décliné ici dans diverses approches en deux et trois dimensions, comme Le dragon rouge (1964) ou Nana et dragon, avec son personnage féminin menacé par la gueule ouverte du monstre. 

Le serpent et l’araignée sont deux autres animaux maléfiques dans le regard de l’artiste. Et c’est pour conjurer la peur qu’ils lui inspiraient lorsqu’elle était enfant qu’elle entreprit plus tard de les recréer à sa guise (Black widov spider, 1963). A l’opposé de ces créatures venimeuses, la sirène, la licorne (symbole de pureté féminine) et l’oiseau constituent le versant lumineux de cette zoologie dualiste. 

Loin de se limiter à cette seule thématique, l’exposition revient sur d’autres séries, d’autres approches explorées par Niki de Saint-Phalle. Les Nanas, bien sûr, si rondes, si joyeuses, si colorées, mais encore le tarot, la tapisserie et les installations monumentales qu’elle égrena dans l’espace urbain tout au long de sa carrière. Il y a aussi ces tableaux-objets, accumulations blanchâtres rehaussées d’une touche de couleur, qui mettent en scène l’accouchement. Jamais encore une artiste ne s’était risquée, avant elle, à présenter aussi crûment ce processus biologique intrinsèquement féminin. Volonté affirmée de replacer la femme au centre du vivant, comme un trait d’union avec les autres forces de la nature, qui anticipe le discours éco-féministe actuel. 

Dans la salle dévolue aux projections, on pourra, pour terminer, visionner un extrait de « Un rêve plus long que la nuit », film que Niki de Saint-Phalle réalisa en 1976 et qui est présenté ici dans sa version restaurée de 2024. Ce conte de fées intimiste pourrait, à lui seul résumer sa problématique personnelle. Et elle qui disait ne pas savoir ni dessiner ni peindre a dû ainsi tout inventer pour nous léguer une des œuvres artistiques les plus singulières du XXe siècle.

  • Jusqu’au 5 octobre 2025. Caumont Centre d’Art, 3 rue Joseph Cabassol, 13100, Aix-en-Provence.

Jacques Lucchesi