L’O. à la bouche…

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Montréal, 1975

j’ai un métier pas rigolo
j’ai du culot pu' qu’il n’en faut
j’ai de la veine pu' qu’la haine
autour de moi, c’est comme au cinéma
les syndicats organisent leur guérilla
c’est un mélo un peu rétro
qui fait partie du scénario

le dimanche j’joue au bingo
et le soir j’vais danser le tango
ou écouter Joe le joueur du bongo
après, j’paye un petit dodo

le lundi, j’reprends le boulot
suis à la mode, suis hétéro
bien que, quand j’croise un travelo
c’est drôle, j’sens parano

mais quand faut qu’je paye mes impôts
j’imagine que j’vais aller à Porto Rico
boire un rhum à tire-larigot
en attendant, j’suis un vrai prolo
j’pointe à l’usine, suis chemineau

parce que j’porte pas la faucille et le marteau
les copains me prennent pour un salaud
suis tout penaud, fragile comme un bibelot

suis né sous le signe du Taureau
pas au Québec ni sur le Kilimandjaro
j’rêve parfois d’être un gigolo
j'prendrais pu' ce maudit métro
j’aurais ma Camaro
j’descendrais pu' à Papineau
j’aurais un grand studio, une vidéo, la stéréo
les copains m’prendraient pu pour un Charlot
j’aurais même ma photo dans les journaux
et mon compte serait plein de zéros

enfin, j’arrête de jouer le mégalo
suis pas un saligot
tout ça, c’est bien beau
mais depuis qu’on m’a volé mon vélo
faut pas qu’rate mon métro
salut les gars et à bientôt
j’vous tire bien bas mon chapeau
c'est mon dernier mot
avec un rien de trémolo...

(illustration, Amédée Ozenfant)