Des cendres..
- mai 2003 -
Il avait voulu un enterrement sans fleurs, sans tambours ni trompettes. Ainsi vous étiez trois ce jour-là. Vous étiez venu avec un corps, on vous rendit une urne en bois qui contenait ses cendres. Pendant plusieurs mois, vous l’aviez déplacée, du balcon à la chambre, de la chambre à la cuisine. Sans vraiment y penser, machinalement. L’urne faisait partie du décor, comme si le souvenir de votre père passait de pièce en pièce.
Ce matin, il faisait beau, la mer était calme. Le soleil s’était levé depuis une heure ou deux. Le sable était encore froid. Dans la baie, il y avait un bateau de guerre. Vous vous rappeliez de celui que vous aviez été visité avec votre père, il y avait cinquante ans déjà. Peu de chances pour que se soit le même vous vous êtes dit. Plus près du rivage, un pêcheur sur son pointu déroulait ses filets.
Vous aviez marché sur la petite jetée, assis sur une rocher qui était à fleur d’eau. Puis vous aviez ouvert l’urne puis le sac qu’il contenait. Il ne pesait bien peu, réduit en cendres, le corps de cet homme qui m’avait vu grandir. Vous vous rappeliez de lui, de son allure, de son regard franc, de son sourire souvent grave. Il avait aimé, il avait souffert. Il avait vu venir la vieillesse, vécu la déchéance du corps, et vu la mort s’annoncer à trop petits pas. Il ne restait guère plus d’un kilo et demi de cendre noire. Pathétique…
Accroupi, le plus près possible de l’eau, vous aviez lentement vidé le contenu du sac. Les cendres avaient flotté un court instant avant de disparaître. Les battements de votre cœur s’étaient accélérés tandis que ce qu’il restait de votre père s’enfonçaient pour rejoindre définitivement... l’infini.
Vous aviez rempli vos poumons de l’odeur faiblement iodée de la mer. Et oui, il faudra bien mourir un jour, vous aussi.
Le bruit de la route du bord de mer, toute proche, vous étiez à nouveau parvenue aux oreilles. Un automobiliste énervé klaxonna. Les gens se rendaient à leur travail et la circulation du matin commençait à devenir plus dense. Vous aviez rapporté l’urne, le sac enroulé dedans, jusqu’à la voiture.
- Fernand Dartigues, rue Auber, Cannes, 1959 -