Refaire le monde...

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Catégorie Geste et pensée...

Nous étions tous les deux en avance car nous savions qu’un orage approchait. Il arrivait de l’est et on voyait, au loin, derrières les deux îles, des nuages sombres et, par intermittence, des éclairs. Il fallait prendre rapidement une décision, évaluer les risques. Nous nous mettions d’accord pour une sortie plus courte.


A ce moment-là, le soleil était au dessus des nuages et donnait de la transparence à l’eau. Tantôt, un nuage, plus en avance sur l’orage qui avançait, obscurcissait notre horizon marin. Tout devenait alors gris et sombre. Dans ce contexte, se déplacer dans cet élément, nous donnait une sensation de plénitude. Comment ne pas apprécier ce moment privilégié ?

De retour sur le sable, alors que le front de pluie s’abattait, nous ne traînions pas. Nous nous retrouvions dans un des rares bistrots du port qui restait. L’histoire de se réchauffer les mains autour d’une tasse de café et de refaire le monde comme il disait. Un monde en constant changement, un monde de plus en plus complexe. Un monde aussi où nous étions plus spectateurs qu’acteurs, perdus dans la multitude qui constitue l’humanité. Comment y trouver sa place. Comment ne pas s’inquiéter de ces informations quotidiennement diffusées qui nous nous montrent plutôt le pire que le meilleur, et nous font imaginer les plus mauvais scenarii ? 

La conversation en venait parfois sur cette civilisation du café-bistrot en passe de disparaître, remplacée par celle du soft drink et de la fasfood ; les chaînes américaines tissant inlassablement dans le paysage et dans les centres villes historiques, leur industrie du junk food. Nous évoquions des souvenirs qui auraient pu nous être communs. Des cafés où nous nous serions retrouvés si la différence d’âge l’aurait rendu possible. Pour rencontrer les copains, pour s’échanger nos devoirs, voire les faire ensemble. Pour se retrouver avant ou après un film vu dans un des nombreux cinémas de la rue centrale. Tout ça autour d’un café, d’un chocolat chaud en hiver et avec la complicité du patron et du serveur qui nous connaissaient tous par nos prénoms. Nous rentrions sagement à la maison vers 22 heures après avoir parlé de tout et de rien. Après tout, n’est-ce pas ça « refaire le monde » ?