Québec. « Pour la suite du monde »…

celui de demain sera-t-il meilleur que celui d’aujourd’hui ?

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Question purement théorique. Ce texte qui rend hommage à un artistes québécois de talent, fut publié en 1973.


Qui se souvient de « Pour la suite du monde », un film de Pierre Perrault et Michel Brault premier long métrage québécois à part entière, présenté par l’O.N.F. (l’Office National du Film) au Festival international de Cannes, il y a déjà plus de dix ans ?

Il durait, je crois bien, plus de deux heures. Le grand public ignorait (comme je l'ignorais moi-même à cette époque), tout ou presque de ce territoire à la recherche de son identité, morceau de chair qui venait pourtant de nous autres. Nous l'avons vu se défendre cette chair, se donner un nom à coups de chansons, de films, de prises de conscience successives, tantôt tranquille, tantôt fracassante. 

Dans son film, Pierre Perrault nous présentait d’abord les familles Tremblay et Harvey de l’île aux Coudres, autour de la reconstitution d’une pêche aux marsouins. suivie de la famille Lalancette, d’Abitibi. L'Abitibi c’est une région ou il fait dur vivre, à une heure d'avion de Montréal, vers le Nord. La famille Lalancette, c'est surtout Flauris, le père, haut en couleur, truculent, méridional comme c'est pas possible, le verbe facile, d'une intelligence instinctive de paysan honnête, mais exigeant.

C'est avec lui que Pierre Perrault, accompagné cette fois de Bernard Gosselin pour la photo, est allé visiter ces « cousins de Bretagne ». Rencontre qui n'allait pas sans raisons. Car combien de Bretons partirent peupler les grands espaces du Nord de l'Amérique ? Est-ce que se sont les meilleurs qui partirent, les plus courageux, les plus pauvres, les plus ambitieux ? Peut-être l'exaltation des grands espaces, la nécessité de réussir pour ne pas mourir, la sélection naturelle, firent-ils une différence. Une différence flagrante que révèle cette rencontre, pas symbolique du tout, d'un vieux peuple qui semble avoir mission de mourir pour ne pas gêner, et d'une race rude, dynamique, jeune. Tous pourtant étaient les enfants des mêmes mères, tous avaient connu la misère, noire, terrible. Et la faim, l'abandon du voisin, l'exploitation des Anglais, des seigneurs et de leurs descendants embourgeoisés mais toujours propriétaires. Peuples qui avaient la même tradition de servitude et de servage. Les images font apparaître l'état du serf paysan breton. Dures images pour l'autre Français, ni Breton, ni Québecois, qui apprend son (?) pays à travers la vision d'un Perrault.

Non, ce n'est pas un conte, c'est une histoire vraie. Ce « cinéma direct », artisanat d'abord, individualiste par vocation, qu'un Jean Rouch a popularisé ici, c’est un cinéma pour regarder le dedans des choses, sans complaisance. C’est un style, une technique qui a fait école au Québec, et l'élève (on est toujours l'élève de quelqu'un, n'est-ce pas...) est devenu un maître. Ça pourrait si facilement n'être qu'un documentaire ethnographique mais cela devient une méditation poétique qui secoue l'esprit, qui éveille à la réalité. Bien sûr, je rêverais de voir un jour prochain un cinéaste « Français de France», nouveau capitaine intrépide, embarquer encore une fois de Saint-Malo. Il aurait pour compagnon d'aventure un dénommé Yan Pouliguen, et un projet de film à réaliser : « C'était un Breton au Québec, Madame ! »

A voir, évidemment. Même si vous devez être surpris par le langage des personnages et par un sous-titrage déroutant. Il n’est pas nécessaire de tout comprendre pour adopter ces nouveaux Raimu québécois et vouloir en faire vos amis. 

  • Autres films de Pierre Perrault : « Le retour à la terre », « Un royaume vous attend », « Règne du jour », « Voiture d’eau », « Pays sans bon sens », « L’Acadie, l’Acadie ». Autant de découvertes à faire sur des gens de cœur et d’esprit. Le cinéaste est aussi écrivain, essayiste, poète, dramaturge et animateur de radio.