« Apoutsiak » ou l’adaptation aux conditions extrêmes...

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Catégorie Geste et pensée...

Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai réalisé combien ce livre pour enfants de Paul-Émile Victor m’avait impressionné et avait semé en moi des sujets importants que j’allais retrouver tout au long de mon chemin et qui allaient nourrir mes réflexions.




« Apoutsiak », le petit flocon de neige. Cet album du Père Castor destiné aux enfants, fut publié par l’explorateur en 1948. Il faisait suite à plusieurs séjours au Groenland où l’explorateur avait vécu avec les esquimaux qu’on n’appelait pas encore les Inuits… Il partageât leurs igloos et prît même femme (information que j’appris bien plus tard). Raconté et dessiné avec une précision ethnologique, se trouvait résumé l’existence d’un petit esquimau et de sa famille. Lu, relu, crayonné, raturé par l’enfant que j’étais, cet ouvrage est un petit chef d’œuvre que je garde précieusement au chaud dans ma bibliothèque. Le papier, de piètre qualité, rescapé des restrictions de l’après guerre, a jauni, mais l’émotion est là, intacte, lorsque je le feuillette.

La vie d’Apoutsiak y défilait, en 32 pages. Un cycle complet durant lequel chaque étape était pleinement remplie. L’enfance, dédiée à l’apprentissage des règles de vie en société, l’adolescence durant laquelle il doit assimiler les gestes essentiels à la survie. Jeune adulte, il assume ses responsabilités vis-à-vis de sa femme, de bientôt ses enfants et de sa famille élargie. La mort vient comme une sorte de fatalité consentie et libératrice, tandis que l’auteur, au dernier moment, ne peut s’empêcher de faire une référence judéo-chrétienne, envoyant Apoutsiak au paradis « retrouver tous les siens, tous ceux qu’il aimait bien, et aussi ceux qu’il aimait moins ; ceux qui, depuis longtemps, l’attendaient, ceux aussi qui avaient eu le temps de l’oublier ». 

Récit au caractère initiatique qui ne me laissait pas indifférent. Je percevais inconsciemment que chaque geste de ces hommes avait un sens, chaque action portait en elle une impérieuse nécessité, dictée par la dure réalité d’un climat impitoyable qui ne tolérait guère d’erreurs. La mauvaise appréciation d’un danger, un mauvais calcul quant à la quantité de nourriture à conserver pour l’hiver, une technique défaillante pour fabriquer des outils ou des vêtements, ou tout simplement une mauvaise vue, pouvaient être tout simplement fatales ; la part du hasard étant laissée aux aléas climatiques, aux mauvaises rencontres.

J’eus plus tard, au cours d’autres lectures, la confirmation que les peuples premiers portaient en eux une profonde vérité. Les documentaires filmés montraient leurs gestes déliés, économes en énergie. D’autres documentaires, animaliers cette fois, donnaient le spectacle profondément émouvant de mammifères marins qui nous donnaient la leçon de chose et surtout d’efficacité. Quel plaisir pour les yeux de voir par exemple évoluer des dauphins, avec aussi la conviction qu’ils prenaient eux-mêmes, lors de leurs ébats, de leurs courses avec les vagues, de leurs sauts, beaucoup de plaisir. 

Mais, dans leur milieu naturel, les animaux, à la différence des hommes, le geste et l’action ne peuvent être que justes car le contraire est durement et immédiatement sanctionné, parfois de façon définitive. La sélection naturelle joue à fond. Elle est sans état d’âme. Dans la chaîne alimentaire, il n’y a pas à attendre pitié ou compassion, même si quelques exemples d’attachements, chez les animaux de compagnies ou domestiques, pourraient nous faire croire le contraire.

Aucune activité humaine ne peut faire l’impasse sur cette constatation. Le geste juste sera toujours celui qui est le plus efficace, le plus économique et le plus beau dans le sens où il dégage une harmonie, sensible aussi bien pour l’acteur que pour le spectateur. Ce geste juste est guidé par l’impérieuse nécessité chez les animaux sauvages comme chez les peuples premiers. Chez l’homme moderne la part du désir, de l’intention a depuis longtemps pris le pas. Quant aux conséquences négatives de ses mauvais choix ou de leur absence, elles sont atténuées voire partiellement gommées par le progrès ; progrès de la médecine, progrès sociaux, assurances diverses et variées. Ainsi son espérance de vie a considérablement augmentée et retarde d’autant son départ vers le paradis ou l’enfer...

NDLR : les changements climatiques que nous constatons, ne sont-ils en train de tester les capacités de l’humanité à s’adapter ou pas à des conditions de plus en plus extrêmes ?