Qatar. Une Coupe du monde semée d’embûches...
Simon Chadwick, professeur d’économie géopolitique du sport à Skema Business School, livre ici ses réflexions sur le sujet :
- Écosse contre Angleterre, 1872 -
L’organisation de la Coupe du monde masculine de la FIFA au Qatar sera le point culminant d’une préparation sans précédent pour une compétition. La durée de l’organisation de cette Coupe du monde, l’ampleur du développement des infrastructures nécessaires pour pouvoir l’accueillir, les controverses qui, visiblement, attendaient le Qatar et la FIFA au moindre tournant, sans oublier les questions politiques sensibles associées : tout aura été frappant et sans commune mesure.
Avant le déroulement de n’importe quel méga-événement sportif, il est parfois difficile de prédire les problèmes et défis que cet événement va générer. Certains sont prévisibles, il y a donc souvent des mesures en place pour parer aux imprévus et tenir compte de leur éventualité et de leurs effets potentiels. Cependant, comme nous avons pu le voir pendant d’autres compétitions, on peut voir survenir des épisodes que l’on n’avait jamais envisagés ou pris en compte dans les mesures d’anticipation. Dans ce contexte, les exemples suivants mettent en avant des thématiques qui pourraient poser problème aux organisateurs qatariens et de la FIFA :
- Activisme ouvert et provocateur de la part de joueurs, de supporters ou d’autres personnes dans une volonté de faire passer des messages remettant en question le Qatar et sa manière d’organiser la compétition.
- Menace d’attaques, potentiellement physiques, mais plus probablement numériques, incluant le piratage (peut-être des systèmes de billetterie) et des campagnes organisées sur les réseaux sociaux contre le Qatar.
- Des tentatives d’ambush marketing par des marques concurrentes des sponsors officiels de la compétition, en s’appuyant sur les stéréotypes sur les Arabes et le Moyen-Orient.
- Vu les concessions consenties au sponsor de boissons alcoolisées de la FIFA et aux personnes réclamant une compétition classique, les effets de la consommation d’alcool et de l’état d’ébriété (comme le hooliganisme) pourront poser problème.
- Au vu de la pression probable sur les infrastructures critiques (et sur la nourriture, l’eau et d’autres biens importés), la résilience de l’approvisionnement et les mesures d’anticipation des imprévus peuvent être mises à rude épreuve.
- La FIFA et les organisateurs qatariens ont fait des déclarations audacieuses sur le bilan environnemental de la Coupe du monde, mais avec un grand nombre de supporters prévoyant de faire régulièrement des allers-retours depuis Doha en avion, on peut douter de la véracité de ces affirmations.
- Alors que les Qatariens ont utilisé la Coupe du monde comme outil de politique publique pour impulser des changements socioculturels positifs, il faudra évaluer l’impact de l’événement sur les droits des travailleurs et le marché du travail, sur la santé et le bien-être de la population du Qatar et sur la cohésion sociale et le sentiment d’identité nationale.
- Pour le Qatar, accueillir la Coupe du monde est censé représenter un exercice de construction de la nation, de développement de la marque nationale, de mise en œuvre de son soft power et de promotion de relations internationales positives ; il faudra évaluer de quelle manière et dans quelle mesure ces objectifs ont été atteints (ou non).
- Le rôle que joueront les réseaux sociaux et numériques pendant la compétition sera déterminant, vu la croissance de Tik Tok depuis la dernière Coupe du monde, en 2018, l’émergence du métavers et la manière dont les réseaux sociaux s’emparent de la compétition : autant de sources de questions intéressantes pour les observateurs.
- Même si certains indices suggèrent que le Qatar souhaite continuer d’accueillir des méga-événements sportifs, les questions suivantes sont inéluctables : d’une part, quels seront les retours sur investissement pour le Qatar après avoir accueilli la Coupe du monde ? D’autre part, quel est l’avenir du Qatar sur le plan stratégique, surtout dans le monde du sport ?
Simon Chadwick
NDLR : selon une étude de MoneyTransfers.com, c’est en moyenne 101 migrants morts par match, pour un total de 64 matchs à jouer pendant la Coupe du monde. Ce chiffre tragique contraste fortement avec les 37 décès signalés par l'organisation des événements.