Hôtel de Caumont : Yves Klein, intime…

Décédé prématurément à l’âge de trente quatre ans, Yves Klein (1928-1962) n’en a pas moins laissé, en seulement huit années d’activité créatrice, une œuvre incontournable dans l’histoire de l’art du XXe siècle. N’est-il pas, à sa façon, l’inventeur du happening, avec ses femmes-pinceaux et son saut dans le vide, à Fontenay aux Roses le 19 octobre 1960 ? Et il s’est littéralement approprié une couleur - le bleu outremer -, la faisant breveter sous l’acronyme IKB (International Klein Blue) de façon à ce qu’elle soit à jamais liée à lui.


C’est pourtant le judo qui a polarisé les jeunes années de ce trublion de génie - il était ceinture noire troisième dan. Certes l’art était aussi une affaire de famille chez les Klein, puisque Fred et Marie, les parents d’Yves, étaient peintres (plutôt figuratif côté paternel, plutôt abstrait côté maternel). Rien à voir, cependant, avec ce que leur fils réalisera quelques années plus tard. L’art devait, pour lui, accorder ses instruments à une civilisation de plus en plus technicienne. Derrière cette approche à priori très matérielle, il y avait pourtant d’autres valeurs, plus mystiques, qui nourrissaient et orientaient sa pensée artistique.

C’est ce que nous révèle, à travers une soixantaine d’œuvres réparties dans sept salles, la belle exposition que lui consacre l’hôtel de Caumont, à Aix-En- Provence, en cette année qui marque le soixantième anniversaire de la disparition de l’artiste niçois. Elle débute, bien sûr, avec différents monochromes (bleu, rose, orangé) dont Yves Klein s’était fait très vite une spécialité ; des sculptures aussi, comme ces éponges bleues qu’il exposera dès 1957 dans les galeries parisiennes Colette Allendy et Iris Clert. 

L’expérience fascinante des femmes pinceaux, qu’il anima en costume et en gants blancs à la Galerie Internationale d’Art Contemporain en mars 1960, est une étape majeure de ce parcours. On peut voir ici quelques-uns de ses tableaux aléatoires baptisés « anthropométries ». Un peu plus loin, on découvre ses sculptures à la feuille d’or (appelées « monogolds ») et ses peintures au chalumeau sur des toiles enduites préalablement de pigments et de résine : quelques œuvres de toute beauté résulteront de cette audacieuse technique. « Mes œuvres ne sont que les cendres de mon art » disait Klein avec lucidité.

Si l’amitié tenait une grande place dans sa vie créatrice, comme le montrent ses moulages d’amis (Arman, Claude Pascal) et le manifeste des Nouveaux Réalistes qu’il co-signa avec huit autres plasticiens en octobre 1960, il ne faudrait pas sous-estimer l’importance de son amour pour Rotraut Uecker, jeune artiste peintre allemande qu’il épousa en janvier 1962. Le magnifique tableau de Christo, qui les représente le jour de leur mariage, est une autre curiosité de cette exposition. Il faut voir et entendre parler Rotraut, dans une vidéo, du désir d’élévation spirituelle qui taraudait son époux peu de temps avant sa mort. 

Elle survint sous la forme d’un arrêt cardiaque en juin 1962, deux mois avant la naissance de leur fils, conférant une dimension indéniablement tragique à cette existence pourtant couronnée de succès. Qu’aurait fait Yves Klein s’il avait vécu et vieilli ? Voilà la question qui nous assaille au terme de cette visite et à laquelle nul ne répondra jamais.


Jacques Lucchesi