Les fausses nouvelles peuvent-elles être bonnes à prendre ?
Richard Langevin, psychologue à Montréal, Québec, a publié ce texte que nous portons à votre attention dans la mesure où le sujet nous concerne tous. Il semble impossible d’y échapper. Tout le monde en parle, à tort aussi bien qu’à travers. Le nombre d’émissions radiophoniques ou télévisées qui l’évoque et en font le thème paraît incalculable. Ne parlons même pas des réseaux sociaux qui propagent ces fausses nouvelles et parfois les démontent aussi comme ces sites qui se chargent de vérifier certaines informations qui y circulent.
« Le phénomène des fausses nouvelles me préoccupe parce qu’elle crée de la confusion chez moi, lorsque je tombe sur l’une d’elles… et encore si je m’en aperçois ! Pire encore, je sais que la nouvelle est toujours plus ou moins déformée selon l’intention des personnes qui la diffusent. Ce que j’en fais est tout aussi en fonction de mes valeurs et de mes intentions. J’imagine que cette expérience doit être troublante pour vous également.
Je lisais récemment le résultat d’un article de recherche intitulé Overconfidence in news judgments is associated with false news susceptibility ou en français L’Excès de confiance dans son jugement concernant les informations est associé à une propension à croire les fausses nouvelles. Cet article conclut que : (…) Si vous êtes très confiants en vos capacités à détecter les fausses nouvelles… vous êtes plus à risque de tomber dans le piège d’une fausse nouvelle ! Cette recherche me laisse songeur parce que je me sens justement confiant à détecter les fausses nouvelles, donc si je me réfère aux résultats de ladite recherche, je devrais être à risque de me faire berner par les fausses nouvelles.
En même temps les auteurs disent ‘’Les chercheurs n’ont pas manqué de faire un parallèle avec un concept souvent utilisé par les psychologues, l’effet Dunning-Kruger selon lequel plus une personne ignore un sujet, plus elle est confiante en sa maîtrise du sujet. Les individus qui sont les moins bien équipés pour identifier les contenus de fausses nouvelles, écrivent les chercheurs, sont aussi les moins conscients de leurs limites.’’
On pourrait conclure que plus on s’informe sur un sujet, plus on se réfère à plusieurs sources d’information et que l’on doute de la véracité de la nouvelle, mieux on s’en sort avec les fausses nouvelles. Selon les auteurs de la recherche Ben Lyons de l’Université de l’Utah, plus nous doutons de nous et nous développons un sens critique et un scepticisme envers la nouvelle, plus nous sommes en mesure de faire confiance à notre capacité à distinguer le vrai du faux.
On peut se demander comment nous pouvons arriver à ce niveau d’analyse. La psychanalyse nous enseigne que même avec une bonne capacité d’analyse cognitive, on peut se faire berner. Derrière le fait de lire les nouvelles, il y a un besoin de connaître, mais aussi un besoin d’être confirmé dans ce que l’on pense. C’est la dimension subjective et affective du besoin d’être informé.
Les algorithmes du net ont tendance à nous faire lire les nouvelles qui se ressemblent. Cela est très utile pour acheter un grille-pain et moins pour se faire une idée critique sur un sujet d’actualité.
Le tout se complique encore plus, si on ajoute les enjeux d’identité et de valeur personnels. À titre d’exemple, j’adhère plus aux valeurs du parti démocrate américain et du parti républicain modéré. Je perçois les valeurs et les points de vue des républicains de droite comme une injure à mon intelligence. Donc, j’ai tendance à éviter la lecture de tous les points de vue provenant des leaders de ce dernier. Je m’indigne à la seule lecture ou écoute d’une émission de Fox News.
En conclusion, mes connaissances sur la politique américaine sont clivées et ne font pas de moi un connaisseur fiable de cette dernière. Ceci m’a fait dire à propos des résultats des dernières élections américaines que je ne pouvais pas comprendre que 70 millions d’Américains aient voté pour un candidat tel que Trump. Je me disais, il doit bien y avoir quelques personnes intelligentes sur 70 millions de votes républicains.
Pour soutenir un tel point de vue, c’est que je ne comprends pas ce qui se passe aux USA. Je dois soutenir une attitude d’humilité et me dire que j’ai des points de vue biaisés sur la politique américaine. La seule vraie conclusion que je peux tirer est que je ne suis pas Américain. Je ne vis pas aux USA. Je n’ai pas non plus une connaissance des rouages du système politique pour prévoir le déroulement des événements à venir et le critiquer.
Cet exemple de prise de position sur la politique américaine est un bon exemple de la complexité à se positionner objectivement devant la nouvelle. Elle est complexe parce qu’elle doit correspondre à ce que nous avons besoin de savoir pour rendre, à nos yeux, le monde autour de soi cohérent et suffisamment rassurant pour pouvoir y vivre.
Si vous êtes capable de vivre avec un certain flou et une flexibilité dans votre compréhension du monde actuelle, il vous sera possible de coexister avec les nouvelles extrémistes qui vous sont présentées avec toute leur complexité et le doute qu’elle génère en vous. Vous serez d’autant plus en mesure de distinguer le vrai du faux.
En somme, devant la nouvelle, nous devons développer un sens critique qui se compose d’une capacité d’analyse critique sur le plan cognitif et d’une conscience affective et subjective de nos valeurs et de nos besoins. »
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