À Travers La Vitre D’Hopper…
L’association azuréenne « Vu Pas Vu » a laissé la parole à Christian Loubet pour décoder l’œuvre de cet artiste qui peint la désespérance d’une classe moyenne américaine que les espoirs suscités par la Révolution industrielle n’ont pas comblé de… bonheur :
Né en 1882, Edward Hopper, illustrateur, mène une vie très calme dans une villa du Cape Cod réalisant très peu de tableaux. Il connaît un certain succès après 1950 mais ne triomphe au Whitney Museum de New York qu’en 1964 (à 82 ans !). Il meurt en 1967. L’actuelle exposition de la Fondation Beyeler à Bâle sera rouverte à partir du 11 mai.
A contre-sens de l’abstraction dominante qu’il méprise, Hopper inaugure un hyperréalisme distancié. Dans un cadrage serré, il surprend des personnages muets, isolés, voire pétrifiés. Pas de rencontre ni d’échange, dans le temps suspendu d’une figuration insolite. Enfermés dans leurs cages de pierre et de verre, les humains semblent exclus d’une nature dont le sens profond leur échappe. Ils sont fixés dans leur activité dérisoire en quête d’un rayon de soleil. L’environnement brut et minimal surcote le silence implicite.
Confinée dans une petite chambre, ou enfermée derrière une « bow window », elle retrouve l’intimité pathétique au retour chez soi.
Couple sans mot : chacun vaque à son occupation. Rien à se dire. Relation décalée.
Elle est arrivée au lieu de ses vacances. Elle est seule. Vacante. Elle vient de loin. Elle espère qu’enfin…
Ces images expriment la conception d’un solitaire pessimiste - qui a grandi pendant la crise du capitalisme, la dépression des années 30 et la guerre de 41-45, qui révélèrent les limites du mythe américain. Mais elles constituent aussi une métaphore emblématique que chacun peut « scénariser » à sa façon (comme l’a fait G. Deustch dans son film ‘Shirley’ en 2013).
Ces images-fixes en séquence ouverte font la critique par l’absurde d’une société de consommation et de médiatisation factice, la vision du “revers” de notre hyper-civilisation. D’un côté le désir de maîtrise et la toute puissance technologique, de l’autre la solitude misérable sans recours, dans la perte des valeurs “transcendantes”. Face à la forêt à peine pénétrée, la lumière perdue. Cette « Amérique » sophistiquée et fragile, c’est notre société mondialisée, vulnérable au moindre virus.